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Marion V
C'est la dernière-née des stratégies thérapeutiques explorées pour répondre à l’immense défi de santé publique que représentent les maladies de la vision. La thérapie cellulaire consiste à remplacer les cellules déficientes ou manquantes de la rétine par des cellules saines issues de cellules souches, afin de ralentir la progression des pathologies, voire de restaurer la vision. Mais au-delà de leur potentiel thérapeutique intrinsèque, les cellules souches sont également des outils essentiels pour la compréhension, la modélisation et le criblage de candidats médicaments.
Le point sur leur actualité et leurs apports pour les pathologies rétiniennes avec le Dr Olivier Goureau, directeur de recherche Inserm et chef d'équipe à l’Institut de la Vision. Article en 2 parties.
PARTIE 1
Il existe des cellules souches adultes à l’état naturel dans le corps humain (notamment dans le cerveau et dans la moelle osseuse). Mais celles-ci ne sont capables de se différencier qu’en un petit nombre de types cellulaires. C’est par exemple le cas des cellules souches hématopoïétiques, qui peuvent donner naissance aux différentes cellules sanguines mais pas à des cellules de rein. S’il existe bien des cellules souches neurales, il n’a jamais été clairement mis en évidence qu’elles existaient dans la rétine humaine.
"Les cellules souches […] pourraient permettre le remplacement des cellules affectées par les dégénérescences rétiniennes"
Dr Olivier Goureau, PhD
Directeur de recherche Inserm UMR_S968/ CNRS UMR 7210.
Institut de la Vision - Paris, chef de l’équipe
« Développement et régénération de la rétine : apport des cellules souches pluripotentes ».
© Institut de la Vision - SU_LArdhuin
« Aujourd’hui, l’essentiel des travaux autour des cellules souches se concentre sur les cellules pluripotentes, des cellules qui ont la capacité de se différencier en n’importe quel type cellulaire, ou de se multiplier à l’infini tout en gardant cette capacité », déclare le Dr Olivier Goureau. Il s’agit soit de cellules embryonnaires (ES) humaines, issues d’embryons à un stade précoce, soit de cellules humaines dites induites à la pluripotence (iPS). Ces dernières sont des cellules adultes, différenciées, qui ont été « reprogrammées » pour récupérer leur pluripotence. Elles ont été mises au point en 2006 par un chercheur japonais, Shinya Yamanaka [voir encadré ci-dessous - La révolution des cellules souches pluripotentes induites]. Ces deux types de cellules souches, ES et iPS, ont la capacité de se différencier en tous les types cellulaires de l’organisme. Et donc en cellules de la rétine. Elles pourraient donc être utilisées pour lutter contre les dégénérescences rétiniennes.
La révolution des cellules souches pluripotentes induites
Fin juin 2006, le japonais Shinya Yamanaka, chercheur au RIKEN (Institute of Physical and Chemical Research) au Japon, annonce qu’il a mis au point une méthode pour reprogrammer des cellules de souris adultes en cellules souches, capables de se redifférencier en tous les types cellulaires présents dans l’organisme. L’introduction de seulement quatre gènes, codant pour des facteurs de transcription, permet de ramener les cellules matures à un stade embryonnaire et de leur rendre leur pluripotence. L’année suivante, il utilise sa technique avec succès sur des cellules humaines adultes. Parce que cette technique permet de s’affranchir des cellules souches issues d’embryons, et des questionnements éthiques qui accompagnent leur utilisation, elle va ouvrir la voie à tout un nouveau pan de recherche et de thérapie. Shinya Yamanaka a reçu le prix Nobel de physiologie et de médecine en 2012 pour sa découverte.
© Institut de la Vision - SU_LArdhuin
« Une dizaine d’essais cliniques de thérapie cellulaire ciblant la rétine sont actuellement en cours dans le monde. Il s’agit d’essais pour des patients atteints de DMLA, rétinopathies pigmentaires ou maladie de Stargardt », annonce Olivier Goureau, qui précise : « Ce qu’on nomme thérapie cellulaire est une thérapie de remplacement. Il ne s’agit pas d’injecter des cellules qui vont libérer des facteurs pour en empêcher d’autres de mourir mais bien de transplanter des cellules qui vont s’implanter là où il y a eu dégénérescence ». Ces essais concernent essentiellement la greffe de cellules d’épithélium pigmentaire rétinien (EPR), et se répartissent entre deux grandes stratégies. La première consiste à injecter sous la rétine des cellules d’EPR issues de cellules souches mises en suspension. Plus facile d’un point de vue chirurgical, elle présente l’inconvénient d’une mauvaise maîtrise de l’implantation des cellules injectées. En effet, si celles-ci survivent bien dans l’œil, elles doivent s’organiser en épithélium dans l’espace pour être fonctionnelles.
"Une dizaine d’essais cliniquesde thérapie cellulaire rétinienne sont actuellement en cours dans le monde."
La deuxième stratégie consiste à greffer directement un feuillet d’épithélium dérivé de cellules iPS ou ES. Si cette technique prévient plus efficacement la mort des photorécepteurs, car les cellules transplantées sont déjà fonctionnelles, la chirurgie qu’elle nécessite est plus compliquée car l’incision plus grande. La preuve de concept de l’efficacité de cette approche a cependant été faite sur des modèles rongeurs et la preuve de l’innocuité et de la faisabilité de la chirurgie sur des modèles plus gros, comme les primates non-humains.
A l'hôpital des Quinze-Vingts, en partenariat avec l’institut I-Stem (l'Institut des cellules Souches pour le Traitement et l'Étude des maladies Monogénétiques) [voir encadré ci-dessous - En France, un essai de thérapie cellulaire prometteur] , l’approche choisie a été d’injecter un feuillet d’EPR sur une membrane amniotique humaine. Celle-ci a l’énorme avantage d’être déjà utilisée en ophtalmologie pour réparer la cornée. Elle est donc déjà qualifiée cliniquement. De plus, « la matrice qu’elle sécrète est très proche de la membrane de Bruch sur laquelle repose l’EPR: on mime le microenvironnement de l’œil. Enrobé dans de la gélatine, injecté sous forme de petit rouleau, le feuillet se déplie lorsque la gélatine fond dans l’œil », explique Olivier Goureau. Autre avantage de la membrane amniotique, sa très forte propriété anti-inflammatoire.
Car qui dit greffe, dit risque de rejet. Si certaines équipes de recherche ont tenté une approche de transplantation de greffon « autologue » (dérivé de cellules directement prélevées au patient), nombreuses sont actuellement revenues de ces stratégies trop coûteuses pour être économiquement viables [voir article - Portrait de la Dr Masayo Takahashi], et pratiquent maintenant la greffe allogénique, avec des cellules iPS issues de banques de donneurs. Une immunosuppression systémique ou à minima locale est donc de mise pour ces thérapies. Or, certaines d’entre elles ciblent des patients âgés, comme ceux atteints de DMLA, ce qui pose un véritable problème d’effets secondaires, sans compter les risques qu’il y a à immunodéprimer un patient en période de pandémie mondiale.
© Institut de la Vision - SU_LArdhuin
Enfin, les travaux sont loin de se cantonner à la transplantation de cellules d’épithélium pigmentaire. Ainsi une équipe de recherche japonaise, du Kobe Eye Center, a annoncé début octobre 2022 avoir réussi à transplanter des photorécepteurs chez des patients atteints de rétinopathie pigmentaire, avec une amélioration de la vision pour l’un d’entre eux. D’autres travaux sont en cours pour des patchs mixtes EPR-photorécepteurs, voire même pour la greffe de cellules ganglionnaires. Les obstacles à lever sont cependant massifs, car pour que ces cellules transplantées soient fonctionnelles, elles vont devoir se connecter, pour les unes aux neurones bipolaires et pour les autres jusqu’au système nerveux central. « Cela implique une stratégie de régénération du nerf optique, ce que l’on ne sait pas faire à l’heure actuelle. Mais, en théorie, ce n’est pas impossible ! », commente le Dr Olivier Goureau.
En France, un essai de thérapie cellulaire prometteur
L’équipe de Christelle Monville, de l’institut I-Stem et celle d’Olivier Goureau à l’Institut de la Vision collaborent pour un essai clinique de phase I/II, portant sur la greffe d’un patch d’épithélium rétinien pigmentaire, les cellules de soutien des photorécepteurs dans l’œil. Lancé en 2019, cet essai a pour objectif final de freiner la dégénérescence des photorécepteurs dans les cas de rétinopathie pigmentaire. « Nous construisons un patch de 3mm sur 5 à partir de cellules souches pluripotentes que nous faisons se différencier et s’organiser entre elles pour former de l’épithélium pigmentaire rétinien » explique la Pr Monville. « Ce patch est ensuite inséré dans la rétine par un chirurgien, le Dr Bertin, de l’hôpital des Quinze-Vingts. Il vient remplacer les cellules malades et ralentir, voir stopper la progression de la maladie ».Prévu pour se terminer à la fin de l’année, l’essai aura concerné douze patients, qui seront suivis pendant cinq ans après leur greffe, pour s’assurer de l’efficacité et de la sécurité de la thérapie. Des premiers résultats devraient cependant pouvoir être publiés dès 2023.
Lire la suite de l'article PARTIE 2 >> "Les organoïdes, supports de thérapie pour la rétine
Propos receuillis par Aline Aurias. Photo en vignette : © Institut de la Vision - SU_LArdhuin
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Professeure des universités, Christelle Monville enseigne la biologie à l’université d’Evry-Val-d’Essonne à tous les niveaux d’étudiants, depuis les bases de la biologie et de la physiologie jusqu’à des sujets plus pointus de neurosciences.
Suite du reportage du Guide de la Vue consacré à quelques femmes d'excellence de l'Institut de la Vision, avec toute notre admiration pour toutes...
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P
Aurélie C