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Marion V
La basse vision, aussi appelée malvoyance, s’exprime par une vision des deux yeux inférieure à 3/10, qu’il est impossible d’améliorer avec une correction optique, des médicaments ou la chirurgie. Deux catégories sont définies par l’OMS : la déficience visuelle moyenne et la déficience visuelle sévère. On parle de cécité quand l’acuité visuelle des 2 yeux est strictement inférieure à 1/20e. La basse vision est une cause de handicap chez les jeunes patients comme chez les plus âgés. Selon l’âge, le retentissement est très différent : de la difficulté de l’instauration des premières interactions chez le nouveau-né malvoyant à l’état dépressif ou aux troubles réactionnels graves lorsque la perte de vision s’installe chez l’adulte.
Dr Xavier Zanlonghi, ophtalmologiste, CHU de Rennes. Consultation maladies rares ; aptitude à la conduite. Exploration fonctionnelle et imagerie de la vision, évaluation et rééducation basse vision.
Selon le rapport mondial sur la vision, publié en 2020, au moins 2,2 milliards de personnes dans le monde vivent avec une déficience visuelle ou une cécité. Les principales causes de malvoyance sont les troubles de la réfraction non corrigés (myopie, hypermétropie, astigmatisme... 123,7 millions de cas), la cataracte (65,2 millions), la dégénérescence maculaire liée à l’âge (10,4 millions), le glaucome (6,9 millions) et la rétinopathie diabétique (3 millions). Compte tenu de leur impact sur l’emploi, la qualité de vie et les exigences de prise en charge, le poids que font peser la déficience visuelle et la cécité sur la société est considérable. Dans une étude de 2015 portant sur neuf pays, le coût annuel de la déficience visuelle modérée à sévère était estimé entre 0,1 milliard de dollars américains au Honduras et 16,5 milliards de dollars aux États-Unis (1). Selon l’étude sur la charge mondiale de morbidité 2017, la déficience visuelle, y compris la cécité, est la troisième cause d’années vécues avec une incapacité (2).
Sachant que l’âge est le principal facteur de risque dans de nombreuses affections oculaires, la prévalence des déficiences visuelles est nettement supérieure dans les tranches plus âgées. Une étude de 2015 estime que la prévalence globale de la dégénérescence maculaire liée à l’âge passe de 1,4 % à 70 ans à 5,6 % à 80 ans. Elle est de 20 % à 90 ans (3). Des tendances similaires ont été constatés pour le glaucome, avec une prévalence estimée à 1,3 % entre 40 et 49 ans et 5,1 % entre 70 et 79 ans (4). La prévalence de la cataracte croît également fortement avec l’âge. Quant à la presbytie, elle se développe rarement avant la quarantaine. L’OMS estime que 80 % des cas de déficience visuelle de loin (avec correction) et de cécité touchent les personnes âgées de 50 ans ou plus. C’est deux tiers pour les cas de déficience visuelle de la vision de près (5).
Par ailleurs, des inégalités existent entre les différentes régions du monde en termes de prévalence. La cataracte (39,8%) et le glaucome (17,8%) sont les principales causes de cécité en Afrique Subsaharienne, tandis que dans les pays à hauts revenus, il s’agit du glaucome (28,2%) et de la DMLA (21,6 %) (6). Chez l’enfant, les causes de la déficience visuelle varient considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, dans les pays à revenu faible, la cataracte congénitale est l’une des principales causes, tandis que dans les pays à revenu intermédiaire, c’est plus souvent la rétinopathie du prématuré (7).
Dans les pays industrialisés, la DMLA est la première cause de handicap visuel chez les personnes de plus de 50 ans. On constate la plus forte prévalence dans les populations caucasiennes en Europe (57,4 % des personnes âgées de 45 à 85 ans) (8). Des disparités géographiques sont également constatés pour le glaucome : c’est en Afrique, en Amérique latine et aux Caraïbes qu’il est le plus prévalent (9). Il est à noter que même dans des pays à revenu élevé, les personnes d’ascendance africaine et latino-américaine présentent des taux élevés de glaucome.
Les pays à revenu élevé de la région Asie-Pacifique enregistrent quant à eux la prévalence la plus élevée de myopie (53,4 %), suivie de près par l’Asie de l’Est (51,6 %) (10). En Chine et en Corée du Sud, les estimations chez les adolescents qui vivent en milieu urbain sont de 67 % et 97 %, respectivement (11). L’interaction de différents facteurs génétiques et environnementaux, tels que mobiliser intensivement la vision de près, peut jouer un rôle important dans l’apparition et la progression de la myopie.
"Les principales causes de malvoyance dans le monde sont les troubles de la réfraction non corrigés, la cataracte, la dégénérescence maculaire liée à l'âge, le glaucome et la rétinopathie diabétique"
Sur les 2,2 milliards de personnes atteintes de déficience visuelle dans le monde, les données disponibles suggèrent qu’au moins un milliard de personnes atteintes de déficience modérée à sévère de la vision de loin ou de cécité auraient pu être soignées ou ne sont toujours pas traitées. Les plus touchés par les causes de malvoyances évitables sont les pays à revenu faible et intermédiaire et les groupes de population sous-desservis, tels que les femmes, les migrants, les minorités ethniques, les personnes handicapées et les personnes vivant en milieu rural.
Le trachome par exemple, se retrouve principalement dans les communautés rurales et pauvres qui ont un accès insuffisant à l’eau, à l’assainissement et aux soins. Causé par la bactérie Chlamydia trachomatis, il s’agit de la première cause infectieuse de cécité dans le monde. Il est responsable de déficiences visuelles et de cécité chez environ 2 millions de personnes dans le monde. L’Afrique reste le continent le plus touché. Bien qu’il n’existe pas de corrélation forte entre le genre et l’affection oculaire, les femmes sont plus susceptibles d’être atteintes, car elles sont le plus souvent en contact avec les enfants. De même, la cataracte a une prévalence plus élevée dans les zones rurales, où la couverture chirurgicale est plus faible.
Aujourd’hui, nombre d’affections oculaires peuvent être atténuées par un accès en temps opportun à des soins oculaires et à une réadaptation de qualité. Le recours aux services de soins oculaires reste toutefois inégal et de nombreux obstacles – liés au genre, à la situation socioéconomique et au coût des soins oculaires – peuvent empêcher les patient.e.s d’avoir accès à ces services. Les taux de couverture de la chirurgie de la cataracte indiquent par exemple de nettes variations en fonction du niveau de revenu : les enquêtes conduites au Viet Nam, au Yémen et au Malawi ont constaté des taux inférieurs à 40 %, alors que les taux étaient supérieurs à 80 % dans des pays comme l’Uruguay, l’Argentine et l’Australie. Il existe cependant des exceptions, comme l’Iran qui indique des taux de couverture de la chirurgie de la cataracte supérieures à 90 % (12). Dans les cas des troubles de la réfraction, la difficulté d’accès à un équipement de correction optique adapté est la règle dans de nombreux pays. En France, nous retrouvons cette difficulté, lorsque l’accès aux soins oculaires est très problématique comme dans le département de Mayotte. Il apparaît pourtant que sans accès à des lunettes ou lentilles de contact, une déficience visuelle légère ou modérée peut affecter de manière significative le bien-être économique, social et cognitif de la personne. Selon une étude, le coût annuel mondial résultant de la perte de productivité imputable à la déficience visuelle liée aux cas de myopie non corrigée est estimé à 244 milliards de dollars américains. La perte imputable aux cas de presbytie non corrigée est quant à elle estimée à 25,4 milliards de dollars (13). Une publication du Lancet montre par ailleurs que les troubles réfractifs constituent la première cause oculaire de nombre d’années vécues avec une incapacité (14).
Au cours des 30 dernières années, plusieurs initiatives internationales lancées par l’OMS ont visé l’élimination de la cécité en tant que problème de santé publique. Citons par exemple l’alliance mondiale de l’OMS pour l’élimination du trachome d’ici 2020 (GET 2020) ou les programmes de contrôle de l’onchocercose en Afrique et Amérique centrale. Enfin, un plan d’action mondial a été lancé pour réduire de 25 % la prévalence des déficiences visuelles évitables entre 2010 et 2019 grâce au développement de l’accès universel à la santé oculaire. Le nombre croissant d’études de prévalence menées ces dernières décennies ont également permis une meilleure compréhension de l’épidémiologie de la cécité et des déficiences visuelles.Force est de constater que l’accès aux soins oculaires s’est considérablement amélioré dans les pays endémiques, grâce à des collaborations entre l’OMS, les réseaux d’organisations non gouvernementales et le secteur privé. Entre 2016 et 2017, le programme national de lutte contre la cécité en Inde a permis à 6,5 millions de personnes de bénéficier d’une chirurgie de la cataracte. Au cours de cette période, le dépistage en milieu scolaire a été proposé à de nombreux élèves et environ 750 000 paires de lunettes ont été distribuées. En outre, 1,5 million d’interventions ont été réalisées pour d’autres affections oculaires. Grâce à des efforts concertés, la prévalence de la cécité en Inde est passée de 1,1 % en 2001-2002 à 0,45 % entre 2015 et 2018. Au Sri Lanka, le Brien Holden Vision Institute, en partenariat avec le Ministère de la Santé et de la Nutrition, a établi des centres de la vision et magasins d’optique afin de proposer des services de réfraction et d’optique aux communautés rurales et semi-urbaines. Parallèlement à la fourniture de lunettes, ces partenariats ont contribué à la prise de conscience de la nécessité pour les communautés marginalisées d’avoir accès aux soins oculaires. Depuis 2007, le programme s’est étendu dans les provinces sud-africaines du KwaZulu-Natal et du Gauteng. En 2020, on comptait plus de 165 000 paires de lunettes délivrées, dont 26 000 gratuitement. Les initiatives d’accès aux soins ont également permis de réduire les inégalités homme-femme. Le programme Coordinated Approach to Community Health (CATCH) au Kenya a notamment amené les services de soins oculaires dans les zones reculées, où il n’existe aucun établissement de santé. Par du dépistage porte à porte ou sur les marchés, ou encore une aide aux transports vers les centres de santé, le projet a permis aux femmes de bénéficier de soins sans quitter leur environnement. Le taux de chirurgie de la cataracte a ainsi augmenté chez les femmes, tout comme l’accès aux lunettes.
"Dans les prochaines décennies, on estime que les besoins mondiaux en soins oculaires vont augmenter considérablement en raisonde l’accélérationde l’urbanisation, de la croissance démographiqueet de l’évolution des modes de vie"
L’ophtalmologie a par ailleurs considérablement bénéficié des progrès de la médecine au cours des vingt dernières années, tant au niveau des diagnostics, des examens complémentaires que des techniques chirurgicales ou médicales. La tomographie par cohérence optique a été la révolution de l’imagerie oculaire de ces dernières années. Elle s’est révélée très utile pour étayer le diagnostic d'un grand nombre d’affections oculaires telles que le glaucome ou la rétinopathie diabétique. En ce qui concerne les traitements, la chirurgie de la cataracte a bénéficié des améliorations des performances des cristallins artificiels, comme l’asphéricité de l’optique corrigeant les aberrations sphériques, ou l’utilisation d’implants premiums corrigeant l’astigmatisme et la presbytie. Les implants à profondeur de champ apparus ces dernières années présentent l’avantage de corriger partiellement la presbytie en limitant les risques d’effets secondaires optiques. Les progrès du matériel et de l’appareillage chirurgical, les micro-incisions, ou encore la prophylaxie anti-infectieuse permettent de se passer de la consultation de contrôle post-opératoire du lendemain, ce qui allège la prise en charge globale de cette chirurgie. Dans le glaucome, on constate des progrès constants pour chacun des moyens thérapeutiques utilisés pour abaisser la pression intraoculaire, que ce soit les collyres, le laser, les ultrasons et les procédés chirurgicaux. En chirurgie, citons les progrès dans l’implantation d’un drain d’évacuation de l’humeur aqueuse, les actions d’éducation thérapeutique, la simplification du traitement et une nette réduction des effets secondaires.
Les avancées technologiques ont également fait évoluer la réadaptation de la vision. Le développement des smartphones, de la reconnaissance vocale et des fonctions d’accessibilité des systèmes d’exploitation des ordinateurs a grandement amélioré l’accès aux informations et aux communications pour les personnes atteintes de cécité et de déficience visuelle. En parallèle, le développement des téléconsultations a permis d’améliorer l’accès à un éventail de services de soins oculaires, notamment pour les populations des zones rurales et des régions isolées de nombreux pays. L’ophtalmologie se prête tout particulièrement à la télémédecine car elle repose avant tout sur l’imagerie pour le diagnostic et la prise en charge des maladies oculaires
Malgré les progrès, des défis restent à relever. Dans les prochaines décennies, on estime que les besoins mondiaux en soins oculaires vont augmenter considérablement en raison de l’accélération de l’urbanisation, de la croissance démographique et de l’évolution des modes de vie. Le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait, selon les estimations, augmenter de 54 % et ainsi passer de 962 millions en 2017 à 1,4 milliard en 2030, et atteindre 2,1 milliards d’ici 2050 (15). Le nombre de cas de cataracte et de troubles de la réfraction non corrigés (myopie, hypermétropie, astigmatisme...) devrait alors augmenter brutalement, étant donné que le développement de ces affections oculaires sont des conséquences inévitables du vieillissement.
"La myopie, en particulier la myopie forte, est en progression rapide partout dans le monde"
Par ailleurs, la myopie et en particulier la myopie forte, est en progression rapide partout dans le monde. Les facteurs environnementaux comme la diminution du temps passé en plein air ou le travail soutenu en vision de près peuvent être à l’origine de l’augmentation notable du nombre de personnes atteintes de myopie. D’après une méta-analyse, le nombre d’enfants et d’adolescent.e.s atteint.e.s de myopie devrait augmenter de 200 millions entre 2000 et 2050 (16). Cette hausse devrait se ressentir davantage au sein des populations connaissant une transition économique rapide, comme en Asie du Sud-Est, et devrait avoir des implications importantes pour la planification des services de soins oculaires. L’évolution du mode de vie a également provoqué une augmentation du nombre de personnes atteintes de diabète dans tous les pays au cours des trente dernières années. Si cette tendance se poursuit, le nombre de personnes atteintes de rétinopathie diabétique devrait passer de 146 millions en 2014 à 180,6 millions en 2030 (17).
Propos recueillis par Sophie Vo
Bibliographie :
Pour en savoir plus :
L’année 2022 a été marquée par plusieurs changements en matière de législation concernant le handicap, et le handicap visuel en particulier.
En France, 207 000 personnes souffrent de cécité ou de déficience visuelle profonde et 932 000 souffrent de déficience visuelle moyenne.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P
Aurélie C