i2Eye 2024 Pittsburgh accueille, Paris se déplace en nombre
Retour sur la 6e conférence annuelle interdisciplinaire sur l’imagerie innovante des maladies oculaires, i2Eye. Cet évènement international est né en 2018, sous l’impulsion du Pr Michel Paques et du Dr Kate Grieve, côté français, et Ethan Rossi, à Pittsburgh, et avec le soutien du Pr José-Alain Sahel qui assurait encore la présidence de l’Institut de la Vision de Paris. Cette année, i2Eye s’est tenue au Vision Institute de Pittsburgh aux Etats-Unis, le nouvel institut de la vision qui a ouvert ses portes en 2023, et est dirigé par le Pr Sahel. Une façon de boucler la boucle et d’intensifier encore les partenariats entre les deux institutions. Près de 40 personnels de l’Institut de la Vision, Paris, ont ainsi fait le voyage pour participer à la conférence, présenter leur travail et découvrir celui de leurs collègues outre-Atlantique. Résumé de l’événement et témoignages.
i2Eye, une page d'histoire
A l’origine de i2Eye ("Innovative Imaging in Eye Disease"), il y a l’équipe du Pr Michel Paques, clinicien, et Dr Kate Grieve, experte en imagerie, à l’Institut de la Vision. Grâce à un financement européen, ils créent en 2017, avec des chercheurs venus de différentes institutions, une plateforme d’imagerie à la pointe de la technologie, le Paris Eye Imaging.
Cette unité de recherche regroupe des cliniciens, ingénieurs en physique, biologistes, programmateurs et techniciens qui, ensemble, développent et améliorent des machines d’imagerie à haute résolution telle que l’optique adaptative, empruntée à l’astronomie, ou l’holographie, qui permet l’analyse non invasive du flux sanguin de la rétine. Loin d’être une unité de recherche fondamentale, cette plateforme est au contraire utilisée au quotidien dans le dépistage et le suivi clinique des patients. C’est notamment le cas de ceux atteints de dégénérescence maculaire, dont les médecins vérifient l’évolution de la pathologie en effectuant un comptage des photorécepteurs. « L’hôpital des 15-20 était le premier au monde à accueillir les premiers systèmes commerciaux CE d’optique adaptative, et Michel Pâques s’est retrouvé très sollicité par des cliniciens d’autres institutions, y compris à l’étranger, sur la façon d’utiliser cette technologie dans la pratique clinique » se souvient sa collègue Kate Grieve. Germe alors l’idée de réunir toutes ses sollicitations sur une journée d’atelier de travail, pour apprendre à utiliser la technologie et en interpréter les données. La première édition a lieu en 2018, et est déjà un succès.
© University of Pittsburgh
© University of Pittsburgh
i2Eye 2024 en chiffres
- 189 participants (dont 157 en personnes, et 35 en visioconférence)
- Dont 135 scientifiques (chercheurs, ingénieurs, cliniciens)
- 72 du Vision Institute, Pittsburgh, Etats-Unis
- 37 de l’Institut de la Vision, Paris, France
- 19 des Etats-Unis, hors Pittsburgh
- 7 d’autres pays (Canada, Israël, Angleterre, Espagne)
© University of Pittsburgh
Faire collaborer ingénieurs et cliniciens dès l'amont
La nécessité d’une collaboration étroite entre les cliniciens et les ingénieurs est très vite une évidence. Ainsi, les seconds comprennent les besoins des premiers et peuvent développer des technologies adaptées, qui soient directement utiles aux patients.
Dès la deuxième édition, en 2019, le format de i2Eye change pour intégrer de nouvelles disciplines, ainsi que des cours introductifs, afin de familiariser à chacun avec le domaine de recherche des autres, ainsi que des présentations scientifiques sur l’actualité du domaine. Déjà, les premiers invités viennent de Pittsburgh. La pandémie de Covid ne parvient pas à casser cette belle dynamique car, bien qu’en visioconférence, l’édition 2020 de i2Eye regroupera plus d’une centaine de participants à l’international. Ensuite, année après année, i2Eye a continué à faire un état de l’art rapide, mais le plus avancé possible, de certains grands sujets en ophtalmologie et imagerie pour l’ophtalmologie.
Photos gagnantes du concours d'imagerie organisé durant i2Eye, selon le comité organisateur (pour la verte) et selon les participants (pour l'autre) :
Traces de fibres de collagène, présentes au fond de l'œil humain. Cette architecture complexe permet de protéger les délicats tissus neuronaux nécessaires à la vision. Image et légende fournies par Ian A. Sigal, Ph.D – Laboratoire “Biomécanique Oculaire” - de l’Université de Pittsburgh, Pittsburgh, USA » « Développement de la Fovéa » - de l’Université de Pittsburgh, Pittsburgh, USA
Cette image d'immunofluorescence, obtenue à partir d'une préparation à plat de la rétine embryonnaire de poussin, correspond à la zone de haute acuité dans la couche de cellules ganglionnaires rétiniennes en cours de différenciation ; cette région précieuse peut être comparée à notre propre fovéa, un domaine rétinien hautement spécialisé qui permet une vision de haute acuité.
Image et légende fournies par Vicente Valle, Ph.D, et Susana da Silva, Ph.D – Laboratoire « Développement de la Fovéa » - de l’Université de Pittsburgh, Pittsburgh, USA
Un programme pensé pour favoriser les discussions
I2Eye a été pensée pour permettre le dialogue entre les cliniciens et les experts en imagerie. Le format choisi, volontairement dynamique, privilégie les présentations courtes plutôt que les traditionnels créneaux de 45 minutes. L’objectif : « Générer de la curiosité pour qu’ensuite se mettent en place des discussions, qui pourront aboutir à de nouvelles collaborations » détaille Kate Grieve. Dans l’édition 2024, ces présentations étaient organisées en neuf sessions thématiques. Si le préprogramme était entièrement constitué de chercheurs invités par le comité d’organisation, chacune des sessions comprenait également une place dédiée à la présentation de ses résultats par un jeune chercheur, sélectionné sur la base d’un résumé envoyé au comité d’organisation.
« Une trentaine de résumés de travaux ont été reçus, et ceux qui n’ont pas été sélectionnés pour présenter se sont vus proposer de participer à la session de posters scientifiques » explique Jean-Baptiste Couzy, gestionnaire de projets au sein du Vision Institute de Pittsburgh, qui a été très impliqué dans la logistique de l’édition 2024 de i2Eye. « Nous avons été très impressionnés par les efforts que l’équipe de Pittsburgh a mis dans l’organisation, ils ont vraiment fait un travail incroyable. Personnellement, beaucoup de personnes m’ont posé des questions après ma présentation, et cela pourra mener à de futures collaborations. Cette édition était vraiment un succès », témoigne Kate Grieve. « L’année prochaine, on célèbrera les 25 ans de l’OCT, une technique très utilisée en imagerie. Il n’y aura pas de conférence i2Eye en tant que telle car la Pologne organise sa conférence Crater, dont nous serons partenaires. Le pays possède en effet un vrai pôle d’excellence en imagerie. Ce sera l’occasion de lancer le projet de collaboration franco-britano-polonais pour la formation dans lequel nous sommes impliqués avec Serge Picaud », conclut-elle. Les perspectives semblent donc prometteuses pour l’avenir de la collaboration internationale en ophtalmologie et imagerie pour l’ophtalmologie.
Renforcer les relations pour créer de nouvelles collaborations
Entretien avec le Pr José-Alain Sahel
Pr José-Alain Sahel
Fondateur de l’Institut de la Vision
Président de la Fondation Voir et Entendre
Concepteur & directeur de Vision Institute - Pittsburgh USA
"Lors de l’inauguration du Vision Institute ici à Pittsburgh, en avril 2023 (voir l'article "L'Institut de la Vision, histoire d’une pugnacité collective"), Serge Picaud, le directeur qui m’a succédé à Paris, était présent et a pu rencontrer le doyen de l’université de Pittsburgh et un certain nombre de personnels de l’Institut. Il a alors proposé que nous invitions des membres du Vision Institute aux journées de l'IHU FOReSIGHT, en octobre.
Une trentaine de personnes se sont effectivement déplacées, et ont fait des présentations croisées avec leurs homologues français, ainsi que des rencontres à l’Institut de la Vision à Paris, ce qui a permis que des collaborations commencent à se mettre en place.
Cette année, il y a eu l’envie de renouveler ces rencontres, mais à Pittsburgh. Comme il était déjà prévu que l’édition 2024 de i2Eye se tienne également à Pittsburgh, nous avons décidé d’intégrer cette rencontre à la conférence d’imagerie haute résolution plutôt que de faire deux évènements séparés. Une quarantaine de cliniciens et chercheurs sont venus de l’Institut de la Vision de Paris, dont le nouveau Directeur de l’IHU FOReSIGHT, le Pr Christophe Baudouin. Il y a également eu des personnes issues de toutes les équipes de l’institut de Pittsburgh, mais aussi d'autres centres américains, du Canada, d'Angleterre, de Pologne, d’Espagne… au final, près de 200 personnes. Pendant trois jours, il y a eu des échanges autour de l'imagerie à haute résolution, mais aussi de la thérapie génique, de l'innovation… Cela va permettre de continuer à renforcer les relations entre nous, car il y a beaucoup de projets conjoints qui se mettent en place entre nos structures.
On ne sait pas encore quelle forme prendra la conférence à l'avenir, mais nous nous sommes rendu compte, que, des réunions thématisées, que nous avons appelées breakout sessions, permettent que les personnes qui participent, et qui travaillent sur ce sujet, soient encore plus engagées dans l’échange. Cela a donné un événement extrêmement vivant, les salles étaient pleines à craquer, les participants vraiment impliqués, il y a eu beaucoup d’interactions. Il nous faut maintenant réfléchir au modèle pour la prochaine édition."
Des présentations de très haute volée
Entretien avec le Pr Christophe Baudouin
Pr Christophe Baudouin, chef de service et président de la Commission Médicale d’Etablissement de l’hôpital des Quinze-Vingts, directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) FOReSIGHT
"L’édition 2024 de i2Eye s’inscrit dans la continuité des rapprochements entre ces deux grands centres que sont, d’un côté, l’IHU Foresight (voir l'article "Direction de FOReSIGHT, le Pr Baudouin veut favoriser la transversalité"), et de l'autre côté ce qu'a créé LE Pr José Sahel, l’UPMC Mercy, qui comprend le Vision Institute mais également la pointe de l'ophtalmologie américaine, un centre de réhabilitation visuelle, un centre de recherche clinique, et évidemment les étages de recherche fondamentale. D’une certaine manière on peut y retrouver une transposition du principe français de l’IHU Foresight créé aussi par le Pr Sahel et dont le modèle est une réussite.
La conférence reste de relativement petite taille, ce qui permet des échanges très dynamiques dans les sessions. Et il y a eu beaucoup de temps prévu pour des rencontres (pauses cafés, session poster, sessions de rencontre en groupes thématiques restreints…). Cela a permis que de très nombreuses connections s’établissent autour de la rétine, des maladies génétiques mais aussi de la cornée, de l'infectiologie, du glaucome…
Le programme de cette année a été co-construit avec les équipes de Pittsburgh et incluait des présentations des équipes de l’Institut de la Vision, de son homologue américain, mais aussi des chercheurs invités venus d’autres universités américaines. L’ensemble des sessions était d’un très haut niveau scientifique. Il s’agit vraiment des meilleurs mondiaux parlant de leur domaine d’expertise."
© UPMC Pittsburgh, USA
Une rencontre qui facilite les échanges
Entretien avec Serge Picaud
Serge Picaud, directeur de l'Institut de la Vision, Paris © SU_LArdhuin
"A l’avenir, cette rencontre doit faciliter les échanges, non seulement entre l’Institut de la Vision (Paris) et le Pittsburgh Vision Institute, qui sont maintenant regroupés au sein d’un Joint Lab de l’Inserm, mais plus largement au sein de la communauté internationale d’ophtalmologie. Si i2Eye était au départ un évènement très focalisé sur l’imagerie, l’édition de cette année s’est ouverte plus largement à toute innovation en ophtalmologie. Le programme incluait par exemple la présentation sur l’implantation clinique d’une prothèse corticale par une post-doctorante de l’Institut de Bioingénierie de l’Université Miguel Hernández, en Espagne.
Ces interventions un peu extérieures au sujet central permettent de dynamiser nos interactions avec les autres laboratoires. Pour travailler ensemble, il faut d’abord se connaître. Vous ne pouvez pas espérer monter un projet avec un partenaire dont vous ne connaissez pas l’expertise scientifique. Au cours de ces deux jours, nous avons eu un large aperçu des travaux de chacun, avec en plus le fait d’être réuni, physiquement au même endroit. Dans ma propre expérience des partenariats, le facteur humain représente 50% de la décision de lancer le projet, et de son succès final.
Dans ma présentation, qui clôturait le congrès, j’ai pu porter ce message sur l’importance de l’aspect humain dans notre travail et ainsi rappeler ce que j’ai appris en 29 ans auprès du Professeur José-Alain Sahel. En premier, José-Alain Sahel m’a appris à rêver. Quand nous avons lancé des projets de restauration visuelle, cela semblait complètement utopique de penser entrer en compétition avec les américains, qui réalisaient déjà leur premier essai clinique. La deuxième leçon à retenir si l’on veut travailler avec José-Alain Sahel, c’est que l’on peut rêver mais il faut surtout ne pas s’endormir car il sera déjà parti très loin. Enfin un troisième conseil pour interagir facilement avec José-Alain Sahel, c’est que pour lui, la science n’a pas de frontières nationales, à l’image de ce congrès à Pittsburgh et la création plus récente du Joint Lab entre nos deux structures. Les liens créés pendant ce congrès à Pittsburgh se traduiront par de nombreuses publications dans les prochaines années sur des idées échangées au cours des interactions amicales et informelles de ces journées scientifiques avec en perspective des stratégies thérapeutiques pour les patients."
60 ans de l'Inserm : sa coopération avec les États-Unis à l'honneur
A la fin du mois d’octobre 2024 ont été célébrés les 60 ans de la création de l’Inserm. A cette occasion a eu lieu, à l’ambassade de France à Washington et en présence de l’ambassadeur et du directeur général de l’Inserm, la signature d’un partenariat qui créé un laboratoire commun virtuel, appelés « Joint Labs », entre l’Inserm et l’université de Pittsburgh (ophtalmologie et vision). Cette entité devrait permettre de grandement faciliter les démarches administratives et accords de partenariats déjà à l’œuvre entre les deux Instituts de la Vision français et américain.
C’est notamment le cas d’un programme de thèses en co-tutelle déjà lancé, qui permet à des étudiants ou médecins de faire leur doctorat en cotutelle de part et d’autre de l’atlantique, avec deux directeurs de thèses.
Propos recueillis par Aline Aurias.
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