L'institut français de myopie a ouvert ses portes à Paris

Pr Ramin Tadayoni, chef du service ophtalmologie à l’Hôpital Fondation Adolphe de Rothschild

Comment est venue l'idée de créer un institut entièrement consacré à la myopie ?

En France, la myopie a presque doublé entre les années 2000 et 2020. Aujourd'hui la myopie concerne déjà près de 40% des Français, et les projections montrent que cette croissance va se poursuivre. On parle de véritable épidémie de myopie. Les enfants sont en première ligne, on constate une importante augmentation des cas, et, ce qui nous inquiète, c’est qu’ils sont myopes de plus en plus jeunes. C’est déjà le cas en Asie, qui a 15 ans d’avance sur le sujet et où plus de la moitié de la population est myope. Du côté des jeunes asiatiques, le pourcentage de myopes atteint 80% donc cela devient plus la norme que l'anomalie. Pour autant, si beaucoup de questions restent encore ouvertes, on sait que l’origine de cette croissance des cas n’est pas liée à l’hérédité mais à nos modes de vie contemporains (apprentissage précoce de la lecture, faible temps passé à l’extérieur à la lumière du jour, milieu urbain, temps passé sur les écrans...). Et d'autre, part on ne sait pas non plus précisément comment l'arrêter. Cela ne serait pas grave si cela impliquait juste que ces gens doivent porter des lunettes. Mais le problème c'est qu'à chaque myopie, les risques d'un certain nombre de maladies communes augmentent. Au-delà d'un certain seuil apparaissent des complications qui sont spécifiques à la myopie, et qui font qu'on peut perdre la vue au cours de sa vie. Pour les myopes les plus forts, qui ont des myopies au-delà de moins 15, moins 16 dioptries, on considère aujourd'hui que le risque de cécité avant la fin de leur vie est de 80%. Autrement dit, 80% d'entre eux risquent de mourir aveugles. C'est colossal. Les projections disent que si on ne fait rien, la myopie forte pourrait devenir la première cause de cécité dans les pays développés.

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Hôpital Fondation Rothschild - Institut Français de Myopie

Qu'est-ce que ce nouvel institut dédié à la myopie peut y faire ? 

A l’heure actuelle, il y a peu de recherche sur le sujet. Les rares instituts dédiés à la myopie se situent dans la zone Asie-Pacifique. Or il y a aussi des spécificités liées au mode de vie occidental. On ne peut donc pas systématiquement transférer ce qui est fait en Asie vers l’Europe ou les États-Unis. C’est pour cela que nous avons voulu créer cet institut avec en tête trois objectifs : d’une part, tout mettre en œuvre pour freiner la myopie des enfants car à chaque dioptrie en moins, on augmente les risques de complications, d’autre part, prendre en charge spécifiquement des personnes déjà très myopes. Et enfin, dans les cas de myopie forte, s’assurer de faire les diagnostics des complications et la prise en charge en temps et en heure, pour éviter des pertes de vision. De fait, les diagnostics sont souvent plus difficiles à poser chez les personnes myopes. C’est notamment le cas du glaucome. Et en termes de traitement, on est souvent dépourvus pour des raisons assez triviales : par exemple l’œil myope étant plus long, certains instruments chirurgicaux ne sont pas adaptés, ils sont trop courts... On est donc dans une situation un peu inquiétante ou plus de la moitié de la population va être myope sans qu’on ait vraiment les moyens de la prendre en charge.

Comment s'organise l'Institut Français de Myopie ? 

De façon assez classique, selon les trois axes que sont la recherche, l’enseignement et la clinique. Sur le plan de la recherche, il s’agit évidemment de mieux comprendre les causes du déclenchement et de l’évolution de la myopie, mais aussi de progresser sur la prise en charge des complications, avec notamment la mise au point de protocoles de dépistage et de suivi. Tous les combien faut-il vérifier la rétine chez un myope ? dépister le glaucome ? Quel examen faut-il faire exactement ? Ensuite il s’agira de diffuser cette information par la formation continue des médecins ophtalmologistes. Car curieusement, les ophtalmologues ne sont pas si bien informés aux diagnostics chez les myopes. De plus, l'ophtalmologie est divisée en sous-spécialités. Or il n’est pas rare que les complications se cumulent chez les myopes forts. Le risque est donc que tandis qu’un patient est pris en charge par un glaucomatologue, il commence à perdre la vue à cause d’un décollement de sa rétine, ou vice-versa. Enfin, il y a tout un volet traitement, puisque l’essentiel du bâtiment d’accueil est dédié à la prise en charge de patients avec des cas complexes, qui nécessitent ce type de prise en charge pluridisciplinaire. Le rez-de-chaussée, lui, est ouvert à tous, pour que des patients, même non adressés par leur ophtalmologiste, puisse venir en consultation en centre expert. L’institut comporte également un deuxième bâtiment qui concentre la partie « tertiaire » : les bureaux de recherche, d'imagerie, d'intelligence artificielle. 

Si l’Institut de la myopie pourra assurer à terme environ 30 000 consultations par an, cela ne fait pas 40% de la population. Nous allons donc évidemment collaborer étroitement avec d’autres grands centres d’ophtalmologie et ophtalmologistes libéraux, que nous certifierons sur nos protocoles de diagnostic et de suivi des complications de la myopie. Enfin, nous avons établi des collaborations de recherche, notamment avec l’Institut de la Vision et l’équipe d’épidémiologie de l’Université de Bordeaux, et des collaborations sur le volet enseignement de surspécialité aux médecins, avec l’Université Paris Cité. Côté chirurgie de la myopie forte, elle sera menée dans les blocs opératoires de l’Hôpital Fondation Rothschild et à l’Hôpital Lariboisière (AP-HP). 

Propos recueillis par Aline Aurias.