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Charlène H
Et si un simple examen de fond d’œil permettait de déterminer les risques d’accidents cardio ou cérébro-vasculaires, ou les suites opératoires de certaines résections de tout ou partie d’organe ? C’est l’hypothèse sur laquelle travaille le service d’ophtalmologie du CHU de Dijon. Explications avec le Dr Louis Arnould, chirurgien ophtalmologiste et membre de l’équipe, dont la recherche est consacrée à la rétine et à l’analyse de sa vascularisation.
Dr Louis Arnould, praticien hospitalier universitaire, service d’ophtalmologie du CHU de Dijon. Laboratoire Physiopathologie et Epidémiologie Cérébro-Cardiovasculaire à l'université de Bourgogne.
L’idée de départ est relativement simple : pourrait-on étendre à d’autres pathologies systémiques que la rétinopathie diabétique l’utilisation du fond d’œil comme marqueur diagnostic et de suivi ? En effet, « avec cet examen, pratiqué en clinique courante, on a la chance de pouvoir analyser les vaisseaux de la rétine en direct » explique le Dr Louis Arnould, qui en liste les avantages : « c’est une technique non invasive, rapide et peu chère ». L’œil pourrait-il dès lors être considéré comme une fenêtre sur le système vasculaire du corps entier ? Un reflet fidèle nous informant sur les vaisseaux des autres organes du corps humain, cœur, cerveau, reins... ? Cette hypothèse, si séduisante soit-elle, est encore en cours de confirmation.
Le fond d’œil permet de visualiser la géométrie du réseau vasculaire rétinien : le calibre des vaisseaux, leur tortuosité, la complexité de leur arborescence. Plus grande est la complexité, plus sain est le système vasculaire. A l’inverse, se pourrait-il qu’un réseau vasculaire altéré, ou anormal, soit l’indicateur d’un défaut de vascularisation dans le corps entier, et plus particulièrement d’une atteinte du cœur ? Dans ce cas, une telle altération du réseau vasculaire peut-elle être un terrain propice pour un infarctus ? C’est le sujet sur lequel s’est penché le Dr Louis Arnould durant sa formation à la recherche. A l’époque, le jeune médecin interne ophtalmologiste, spécialisé en chirurgie du segment antérieur, s’intéresse à la recherche sur la rétine. Lors de son master 2 en épidémiologie et recherche clinique dans l’unité d’épidémiologie et méthodologie du CHU de Dijon, il va avoir l’opportunité de travailler avec l’équipe de cardiologie, et notamment avec le Pr Charles Guenancia, cardiologue dans ce même CHU. Ce sera le début d’un travail qui permet de montrer, dès 2018, que, dans une cohorte de patients traités pour un infarctus du myocarde au CHU de Dijon, la densité vasculaire rétinienne était diminuée chez les patients à haut risque cardiovasculaire (1). Cette collaboration va se poursuivre durant la thèse de science de Louis Arnould à l’école doctorale de santé de Dijon, sous la direction de la Pr Catherine Creuzot Garcher, cheffe du Service d’Ophtalmologie, ainsi que du Pôle de Recherche et Santé Publique du CHU Dijon. Son sujet : l’intérêt de l’utilisation des biomarqueurs rétiniens pour la prédiction d’éléments cardiovasculaires.
©DR
Pour calculer le risque pour une personne donnée de faire un accident cardiovasculaire, les cardiologues s’appuient depuis plusieurs décennies sur le calcul d’un score de risque, construit en fonction de facteurs tels que l’âge, le tabagisme, les antécédents familiaux, la présence de comorbidité comme le diabète ou l’hypertension… et étayé par des analyses statistiques d’études épidémiologiques de grande portée. Si cette approche porte ses fruits pour les personnes très à risque ou très peu à risque, elle présente malgré tout des limites en ceci qu’elle est globale, et construite sur des données essentiellement collectées sur des hommes caucasiens d’âge moyen. « Si notre hypothèse continue de se confirmer, l’analyse du fond de l’œil d’un patient donné pourrait permettre d’amener une dimension de personnalisation à la prédiction, de raffiner le score de chaque patient en adoptant une analyse composite, qui pondère le calcul de risque statistique par l’analyse de l’état vasculaire individuel » explique le Dr Arnould. Sa collaboration avec le Dr Guenancia a donné lieu à plusieurs publications (2) dont une concluant, dans le cadre de l’étude dites Montrachet qui regroupe près de 1000 patients, à une association significative entre l’état du réseau vasculaire rétinien, les facteurs de risques et les antécédents cardiovasculaires chez les personnes âgées.
L’analyse de la géométrie du réseau vasculaire et de ses éventuelles altérations, est une tâche pour laquelle l’appui des logiciels d’analyse d’image est d’une grande aide. Ainsi, le standard à partir de 2010 était à l’analyse semi-automatique, confiée pour partie à un logiciel d’analyse d’image, sous la supervision et la validation d’un opérateur. Mais, en 2018, la publication d’un article (3) par l’américain Ryan Poplin et ses collègues chez Google Research va lancer l’utilisation de l’IA pour cette application d’analyse d’images médicales. Ceux-ci concluent en effet sur l’efficacité de la prédiction de facteurs de risque cardiovasculaire à partir de l’analyse de photographies du fond de la rétine grâce à des algorithmes d'apprentissage profond. Le Dr Arnould et ses collaborateurs prennent alors le virage de l’IA et délaissent les logiciels semi-automatiques, ce qui ouvre une nouvelle collaboration avec l’ICMUB, l'Institut de Chimie Moléculaire de l'Université de Bourgogne, qui travaille sur l’IA. « Dans le service d’ophtalmologie, nous n’avons pas de connaissance technique en intelligence artificielle, mais nous possédons les images, les données cliniques réelles, dont nos partenaires informaticiens et ingénieurs sont très friands pour faire progresser leurs algorithmes » commente Louis Arnould, qui précise : « nous leur fournissons une base de données annotées avec un fond d’œil, un OCT angiographique et le risque cardiovasculaire associé, pour permettre l’apprentissage des algorithmes, et ensuite on interroge la machine pour savoir si, sur la base des seules données d’imagerie on peut prédire le risque cardiovasculaire ». Car les chercheurs ne se sont pas limités à la technique du fond d’œil mais utilisent désormais également la tomographie en cohérence optique angiographique ainsi que certaines données issues des examens d’optique adaptative comme base d’analyse de la vascularisation rétinienne. « Le passage d’une technologie d’imagerie à l’autre s’est calqué sur le développement de l’imagerie en clinique ophtalmologique courante, que nous avons détournée vers nos objectifs de recherche. Et si demain il y a un autre appareil qu’on utilise en clinique courante, on l’essaiera pour la recherche » résume le Dr Arnould.
Ce travail en cardiologie a permis d’ouvrir l’horizon des collaborations de l’équipe d’ophtalmologie au sein du CHU de Dijon. Ainsi, des recherches sont en cours avec l’équipe du Pr Yannick Bajot, chef du service de neurologie du CHU de Dijon, afin de déterminer s’il serait possible de transposer ces marqueurs de risque cardiovasculaires aux accidents ischémiques transitoires ou AVC. Et si la transposition ne peut pas se faire telle quelle, déterminer des marqueurs spécifiques de ces évènements et les mettre en corrélation avec le devenir des patients.
Dans un autre registre, le Dr Arnould collabore également avec le Dr Mathieu Legendre, néphrologue au CHU de Dijon, pour tenter de déterminer si les informations données par le fond d’œil permettraient de prédire le risque d’insuffisance rénale après une résection de tumeur aux reins, et donc le besoin de suivi plus ou moins rapproché du patient. La même chose pourrait d’ailleurs s’envisager dans d’autres chirurgies. « Les vaisseaux sanguins au niveau des reins sont très difficiles à surveiller, alors que le fond de l’œil est très facile d’accès. On peut imaginer s’intéresser à d’autres chirurgies, mais pour l’instant, ce projet est encore top secret » sourit le Dr Arnould. Car au plan international, une vingtaine d’équipes de recherche travaillent sur cette thématique de la recherche de marqueurs pronostiques et diagnostiques de pathologies systémiques dans l’architecture du réseau vasculaire du fond de l’œil. « C’est plutôt rassurant, de se dire qu’on n’est pas seuls à avoir eu l’idée. C’est qu’elle tient probablement la route, mais il y a forcément une concurrence » confie Louis Arnould.
Ses objectifs pour la période à venir s’articulent en deux axes. D’une part, continuer à développer l’analyse de l’imagerie de la rétine par IA pour le diagnostic de pathologies systémiques, et donc déterminer de nouveaux marqueurs prédictifs pour différentes pathologies d’intérêt. D’autre part, continuer à vérifier la robustesse de leur hypothèse selon laquelle l’état des vaisseaux de la rétine pourrait être extrapolé à l’état vasculaire total et refléter fidèlement l’état de santé du patient. Ceci passe par une comparaison des résultats obtenus avec différents logiciels, différentes méthodes d’analyse d’image, mais aussi entre les anciennes techniques d’imagerie et les nouvelles méthodes disponibles aujourd’hui. Avec un objectif, monter et nourrir une base de données open access associant imagerie de qualité et description des données cardiovasculaires précises qui pourra servir de support à des collaborations internationales ouvrant l’accès à encore plus de données patients pour faire progresser encore la recherche de marqueurs prédictifs.
Propos recueillis par Aline Aurias
1. Arnould L. et al. (2018) Investig. Ophthalmol. Vis. Sci. 59, 4299–4306 : doi .org/10.1167/iovs.18-24090
2. Arnould L. et al. (2018) Plos One. : doi .org/10.1371/journal.pone.0194694
3. Poplin, R. et al. (2018) Nat Biomed Eng 2, 158–164 : doi .org/10.1038/s41551-018-0195-0
"Femmes d'excellence", avant-dernier interview de notre série préférée ! C'est à Dijon que Le Guide de la Vue a poursuivi son reportage, auprès de la Pr Catherine Creuzot-Garcher.
Notre série 100% féminine se poursuit !
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