Krys Jacou - Espace Bocaud
Virginie R.
La semaine dernière, Le Guide de la Vue vous a présenté un reportage exceptionnel sur la création d'un Institut de la Vision à Pittsburgh, aux Etats-Unis, auprès de son fondateur et directeur, le Pr José-Alain Sahel. Cette semaine nous vous proposons de poursuivre cette visite guidée et de découvrir l'organisation et les axes de recherche de cette institut qui est déjà une référence.
L’Institut de la Vision de l’UPMC (Centre Médicale de l'Universitéde Pittsburgh) en chiffres :
La recherche au Vision Institute de Pittsburgh, et précédemment au Eye Center de l’UPMC, s’inscrit en partie dans la droite ligne de ce qui a été développé à l’Institut de la Vision de Paris. De fait, de nombreux programmes et projets de recherche sont communs aux deux instituts, qui ont une collaboration très étroite. C’est notamment le cas autour de l’optogénétique, et de l’amélioration de sa résolution, sujet pour lequel un partenariat très fort a été monté avec l’équipe de Valentina Emiliani à Paris. Et le lien n’est pas près de s’affaiblir, avec la préparation, cet automne à Paris et l’année prochaine à Pittsburgh, d’un grand congrès commun entre Instituts de la Vision de Paris et de Pittsburgh, pour faire émerger de nouveaux partenariats.Cette collaboration se matérialise également sous la forme d’échanges d’étudiants qui viennent pour une année de leur thèse, ou un post-doctorat. Si on retrouve donc à Pittsburgh les approches de thérapies géniques, optogénétique, rétine artificielle, et cellules souches qui ont fait la réputation de l’Institut de la Vision, l’institut américain porte également le développement de nouvelles thématiques. On y trouve notamment un très fort axe cellules souches dans la cornée, qui existait déjà avant l’arrivée du Pr Sahel, suite aux travaux du Pr Funderburgh, mais a été encore renforcé depuis. L’ambition : développer une nouvelle approche thérapeutique pour accompagner la cicatrisation de la cornée, en particulier après une infection. Le pôle sur les infections bactériennes et virales, qui existait historiquement, continue, lui aussi, à bien se développer dans le département.
Les équipes travaillant sur la dégénérescence maculaire liée à l’âge collaborent étroitement. Un autre sujet majeur pour l’institut de Pittsburgh est la recherche sur la régénération du nerf optique. « Nous avons tout un centre avec plusieurs équipes sur ce sujet, qui est véritablement aujourd’hui une des frontières de la médecine : le Louis Fox Center », précise le Pr Sahel. L’institut reçoit également des financements du NIH (National Institutes of Health) et du département de la défense pour travailler sur de nouvelles méthodes de thérapie génique, là aussi avec des collaborations entre l’équipe de Deniz Dalkara à Paris et de Leah Byrne à Pittsburgh. Plusieurs équipes s’intéressent à la stimulation du cerveau des aveugles via des prothèses, là aussi en relation avec les équipes de Paris. Le glaucome et la myopie devraient aussi représenter des axes de collaboration.Si ces sujets de recherche se sont montrés très productifs en termes de publication, plus de 200 articles publiés par an, le transfert technologique n’a pas été en reste puisque depuis l’arrivée du Pr Sahel en 2016, six spin-off/start-up ont déjà vu le jour, dont deux dans le domaine de la thérapie génique.
"Nous avons toute une équipe sur la régénération du nerf optique, qui est véritablement aujourd’hui une des frontières de la médecine"
Enfin, et même si la liste n’est pas exhaustive, le département d’ophtalmologie de l’UPMC a développé avec l’école de santé publique et l’école de réhabilitation, une thématique sur la mesure et l’accompagnement de la basse vision. Cela passe notamment par la création d’un Street Lab analogue à celui de l’Institut de la Vision, auquel va s’adjoindre un simulateur de conduite. Parmi les différentes unités de ce pôle, se trouve aussi un appartement qui servira à modéliser les conditions de vie des personnes malvoyantes, pour ensuite proposer des améliorations. Un accord de partenariat a été mis en place entre StreetLab, à Paris et l’université de Pittsburgh, concrétisé par des visites croisées, des échanges scientifiques et méthodologiques, des programmes communs, en relation avec la Food and Drug Administration avec laquelle une convention-cadre est en place.
Son attachement à la France et en particulier à l’Institut de la Vision de Paris (maintenant dirigé par Serge Picaud), aux Quinze-Vingts (successeur pour le service et le Centre d’Investigation Clinique : Pr Paques) et à l’Hôpital Fondation Rothschild (successeur : Pr Tadayoni) est intact. Il reste très impliqué au niveau du Centre de Maladies Rares (maintenant dirigé par Isabelle Audo) dans l’évolution des projets de restauration visuelle qu’il a lancés et se réjouit des excellentes relations entretenues avec de nombreux(ses) collaborateurs(trices), des échanges d’étudiants, des congrès communs comme celui, annuel, sur l’imagerie organisé par Kate Grieve, Michel Paques à Paris et Ethan Rossi à Pittsburgh depuis plusieurs années. Il s’est beaucoup impliqué dans la formation d’un BioCluster en Neurosciences avec l’Institut du Cerveau et la Fondation Fondamental, les collectivités locales et de nombreux industriels européens, voulant faire de Paris une capitale dans ce domaine au niveau mondial, et apportant son expérience internationale. Ce BioCluster, associant une cinquantaine de partenaires institutionnels et privés vient d’être labellisé et financé, comme l’a annoncé le Président de la République. Il s’est investi, à la demande du Directeur des Quinze-Vingts et du Pr Baudouin, Président de la CME des Quinze-Vingts, dans la création de l’Institut Saint-Louis de Réadaptation Visuelle, dont il assure la direction scientifique et, à la Fondation Rothschild, conseille le Directeur et son successeur sur des projets stratégiques comme la création de l’Institut de la Myopie. Enfin, il met en place la transition de la Direction de l’IHU FOReSIGHT vers le Pr Christophe Baudouin.
Discours du Pr Sahel lors de l'ouverture de l'Institut de Pittsburgh en avril 2023 © UPMC
"Ici, environ 20% de la population a un problème d’accès aux soins faute de couverture médicale correcte"
Mais la spécificité du travail que mène le Pr Sahel aux Etats-Unis tient peut-être plus encore dans son volet social. « En arrivant aux USA, j’ai pris conscience de la grande difficulté pour les personnes précaires, y compris les travailleurs pauvres, à avoir une couverture médicale correcte et un accès aux soins les meilleurs possibles », explique-t-il. « Je le savais, sur le plan théorique, mais je n’en avais pas pris conscience quand j’étais fellow à Boston. Cela m’a beaucoup choqué, car cela impacte la décision thérapeutique et la prise en charge. Bien sûr, il arrive en France aussi, qu’il y ait des suivis médicaux de mauvaise qualité, où ne sont pas mis en place tous les moyens, mais ici c’est environ 20% de la population qui a un problème d’accès aux soins ». Il fallait donc faire quelque chose. Le Pr Sahel et ses équipes se lancent alors dans un plan d’action à très large échelle. En premier lieu, il s’agit d’identifier comment adresser ce problème. Pour cela, le travail se fait sur deux plans : d’une part, la prise en charge des situations individuelles, une par une, grâce notamment à l’action d’une « assistante sociale » à plein temps sur site qui accompagne les patients qui peuvent avoir des difficultés. Aide au remplissage des papiers pour obtenir une assurance, au paiement des factures ou à la garde des enfants, les services qu’elle propose ont permis d’accompagner près de 600 patients sur la seule année 2022.
Une solution, l’action directe
Le Eye Center a lancé, il y a plusieurs années, des actions de soins gratuits plusieurs fois par mois, dans les quartiers les plus défavorisés. Toute l’équipe de l’hôpital, jusqu’aux internes et étudiants en médecine, se mobilise autour de cette initiative, sur la base du bénévolat. Tout récemment, début mars 2023, l’association philanthropique Brother’s brother leur a fait un don qui va grandement leur faciliter la tâche. Cette structure, qui intervient dans le monde entier, par exemple en cas de catastrophe naturelle comme les récents séismes en Turquie et en Syrie, leur a offert un bus complètement équipé pour la détection des pathologies et les soins ophtalmologiques.
L’autre volet consiste en l’identification de patterns, de raisons redondantes qui expliquent le défaut de prise en charge d’une partie de la patientèle, afin d’implémenter des solutions plus systémiques. C’est ainsi que les équipes du Pr Sahel se sont impliquées dans plusieurs actions, dont une forme de guérilla du soin (voir encadré : Une solution, l’action directe), à l’initiative de Jake Waxman, qui a précédé son arrivée mais a été amplifiée considérablement depuis. Ils ont notamment rejoint un évènement annuel lancé par leurs collègues des soins dentaires, Mission of Mercy. Celle-ci consistent, sur deux jours, à accueillir tout un chacun dans un stade ou un centre de congrès pour une prise en charge complète et entièrement gratuite, qui va du dépistage de pathologies à la délivrance de lunettes. L’année dernière plus d’un millier de personnes ont bénéficié de ces événements caritatifs, et sponsorisés par des fondations, dont la Fondation Essilor qui a offert les verres et montures pour plus de 700 personnes. Une autre de ces initiatives, avec la Fondation Vision to Learn, implique la division pédiatrique du département du Pr Sahel (Pr Ken Nischal) et permet de proposer le dépistage précoce des pathologies oculaires dans les écoles, avec en particulier un bus itinérant (sur un modèle similaire à celui proposé en France par la Fondation Optic 2000). L’ambition ici est de briser le cercle vicieux qui fait que les enfants qui ont des difficultés à voir ont également plus de difficultés scolaires. Mais l’UPMC est allé plus loin, en étendant la prise en charge aux parents de ces jeunes, en suivant le raisonnement que, généralement, si les enfants ont des problèmes de vision, leur entourage également. Si cette initiative est présente sur tout le territoire, la Pennsylvanie est de fait l’un des états les plus en pointe dans son implication. En plus de ces différentes actions, le Eye Center a également mis en place une quarantaine de caméras de télémédecine et une unité mobile pour faciliter l’accès aux dépistages au dela de Pittsburgh. « Nous nous sommes donc lancés dans un programme très ambitieux, qui ne va pas régler complètement le problème systémique, puisque sa solution est politique. Mais à mon niveau, ma tâche, c’est de m’occuper des malades », résume le Pr Sahel, qui a embauché une coordinatrice pour organiser toutes ces missions.
Salle d'opération du département d’ophtalmologie © UPMC
En parallèle de ces actions très concrètes, le Pr Sahel a recruté une équipe d’experts en santé publique, pour travailler sur l’analyse systémique du problème de la couverture santé des populations défavorisées. Une équipe de recherche dirigé par Andrew Williams travaille avec l’école de Santé Publique à une compréhension des raisons de non prise en charge et aux solutions possibles. Leur travail a déjà donné des résultats en soulignant l’importance de mettre en place des champions communautaires, des personnes qui s’insèrent dans les quartiers pour former les gens à la prise en charge de leurs pathologies. Leur travail : leur expliquer leur maladie, les convaincre de prendre leurs traitements, de revenir en consultation… Tout un travail est donc fait dans les quartiers, souvent en direction des minorités. Et pour éviter que le monde de la recherche reste inaccessible, le centre offre aussi la possibilité aux jeunes issus de ces quartiers de faire des stages dans leurs laboratoires. « Cette initiative a un impact énorme sur leur CV. Plusieurs de nos premiers stagiaires ont été acceptés dans des Universités d’élite l’année dernière et leur expérience chez nous a été déterminante », s’enthousiasme le Pr Sahel. « Il y a donc tout un travail de terrain et de système qui peut être apparaît moins essentiel en France, où le système éducatif et de soins est bien plus accessible et équitable, mais ici c’est une nécessité absolue ». Mais plus que tout, le Pr Sahel souhaite développer la meilleure approche possible pour aider les patients. Il a dans cette optique lancé un partenariat avec l’université Duquesne de Pittsburgh, très connue pour ses approches humanistes. Son département accueille donc deux étudiants en philosophie et anthropologie qui interrogent les patients sur leur expérience de la malvoyance, leur expérience des thérapies, leurs attentes par rapport aux recherches menées au Centre. Isabelle Audo, Serge Picaud et d’autres, à Paris, sont motivés à développer cet axe exploratoire aussi. « C’est un axe que je voulais absolument poursuivre, ne pas être seulement dans les technologies, mais de plus en plus nous centrer sur l’expérience des patients. C’est peut-être la traduction de mon vieillissement, un retour à l’essentiel », sourit le Pr Sahel, qui s’étonne de cette incroyable aventure à laquelle il lui a été offert de donner l’impulsion, à une étape de sa carrière où il y a souvent plus de fins que de débuts.
Propos recueillis par Aline Aurias
Photo en vignette : Vue d'artiste du rendu final de l'Institut de la Vision de Pittsburgh © UPMC
Le 20 avril 2013 a été inauguré à Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis, le Vision Institute de Pittsburgh, un bâtiment à la pointe de la modernité, qui intègre recherche, clinique, enseignement et accompagnement de la malvoyance.
Notre série 100% féminine se poursuit !
Généticiennes, neurobiologistes, biologistes, physiciennes… : chaque jour, des chercheuses à la pointe de l’innovation font avancer la connaissance des pathologies oculaires, œuvrent au dévelo
Virginie R.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P