Première mondiale, une cartographie 3D de la tête embryonnaire
Une équipe de recherche dirigée par deux chercheurs de l’Institut de la Vision a publié le premier atlas mondial du développement embryonnaire de la tête humaine. Retour avec l’un d’eux sur ces travaux, leur impact pour notre compréhension de la mise en place des structures complexes qui composent la tête, et leur potentiel clinique.
Alain Chédotal, directeur de recherche Inserm, en charge de l’équipe "Développement, évolution et fonction des systèmes commissuraux" à l’Institut de la Vision ; Professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et aux Hospices civils de Lyon. ©DR
Se détacher de la rétine
Au départ, il y a l’idée que toutes les pathologies visuelles ne sont pas liées à la rétine, et que le système oculomoteur, qui permet le déplacement des yeux, est essentiel pour assurer une bonne vision. « Quand on pense aux pathologies du système visuel, il ne faut pas avoir une vision trop rétinocentrique. Une personne peut très bien avoir une très belle rétine, mais si elle a des problèmes oculomoteurs, ils peuvent entrainer un strabisme qui va impacter sa vision », énonce Alain Chédotal. Or, une large part des strabismes, dont ceux d’origine syndromique et génétique, sont le fait de défauts dans la mise en place des nerfs qui innervent les muscles oculomoteurs. « Pendant des années, on a pensé à tort qu’ils étaient causés par une dégénérescence des muscles, alors que la cause est presque toujours des problèmes d’innervation de ces muscles. Et cela se retrouve dans différentes pathologies (comme le syndrome de Stilling-Duane), qu’elles soient d’origine génétique ou non » précise le chercheur. En effet, les trois nerfs principaux qui viennent innerver le système oculomoteur peuvent être affectés par des anomalies de développement qui vont empêcher leur pousse, ou les envoyer se connecter au mauvais muscle.
Illustration des muscles oculomoteurs. Droits réservés Guide-Vue.fr. Ne peut être reproduit.
Ces anomalies de l’innervation des muscles constituant le système oculomoteur vont provoquer des défauts du mouvements des yeux, et donc affecter la vision stéréoscopique. Or, jusqu’ici, notre compréhension des mécanismes de mise en place de l’innervation du système oculomoteur se basait sur une littérature scientifique pour l’essentiel lacunaire et datée de la première moitié du XXe siècle. S’appuyant sur de simples coupes histologiques, ces travaux donnaient des descriptions macroscopiques, assez imprécises, qui n’avaient pas permis de bien comprendre comment se développent les projections des nerfs au niveau des muscles de l’oeil. « Ce que nous avons réussi à faire avec notre approche, c’est de redécrire la cascade de développement de ces nerfs, et d’être précis sur le stade embryonnaire où ils se mettent en place », détaille Alain Chédotal. Si cette connaissance ne va pas impacter directement le quotidien des personnes strabiques, elle a une importance cruciale en termes de compréhension globale du développement du système oculomoteur. En effet, pour comprendre ce qui s’est mal passé dans les cas pathologiques, à quel moment les choses ont dérivé, il est essentiel d’avoir une référence de développement normal.
Image 3D obtenue en microscope à feuillet de lumière de l'évolution des muscles oculomoteurs dans des yeux transparisés d’embryon humain âgés de 9 à 12 semaines. Les 6 muscles oculomoteurs responsables des mouvements des yeux et les 3 nerfs moteurs (en blanc, vert et rouge), ont été colorisés à l’aide d’un logiciel de réalité virtuelle. ©Raphael Blain/Alain Chédotal, Institut de la Vision (Inserm/CNRS/Sorbonne Université)"
Une technologie longtemps mûrie
Cette référence, c’est ce qu’est parvenue à produire l’équipe coordonnée par Alain Chédotal et Yorick Gitton, chargé de recherche CNRS au sein de l’équipe du premier. Pour cela, les chercheurs se sont appuyés sur une technologie de transparisation développée depuis plus de dix ans par leur équipe, notamment grâce au travail de Morgane Belle, qui y était assistante ingénieure en neurobiologie du développement. Grâce à des protocoles minutieusement établis, comprenant notamment des bains successifs de solvants, l’équipe d’Alain Chédotal a rendu transparents de nombreux organes, chez la souris et l’humain. Dernièrement, ce protocole a été adapté à l’oeil humain. Cet ensemble de techniques permet de s’affranchir des limitations de l’imagerie classique, dans laquelle on extrapole notamment une organisation en trois dimensions à partir d’images de coupes en deux dimensions. Dans l’approche par transparisation, la prise d’images se fait grâce à une méthode de microscopie innovante, scannant les échantillons transparisés avec une fine feuille de lumière laser, ce qui permet de les imager en trois dimensions. L’équipe est ici parvenue à appliquer cette technique à des embryons humains à différents stades de développement. Pour cela, ils se sont appuyés sur une biobanque de tissus humains constituée dans le cadre du vaste programme HuDeCA (Human Developmental Cell Atlas), coordonné par l’Inserm. C’est ainsi qu’ils ont pu dresser la première carte tridimensionnelle du développement de la tête humaine embryonnaire.
Chronologie du développement de tous les muscles extraoculaires et leur innervation entre 5,6 11,3 semaines chez l'embryon humain. ©DR
Visualiser en 3D et dans le temps, pour mieux comprendre le développement
Puisque l’ensemble de la tête embryonnaire humaine a pu être imagé, dans toute sa complexité, l’étendue de ces travaux va bien au-delà de la simple visualisation de la mise en place des nerfs oculomoteurs. En utilisant la réalité virtuelle pour naviguer dans leurs images 3D, les chercheurs ont ainsi pu « découvrir des caractéristiques jusqu’alors inconnues du développement des muscles, des nerfs et des vaisseaux sanguins crâniens, du crâne et des glandes exocrines crâniennes » a indiqué Alain Chédotal. On peut donc, en utilisant cet atlas, s’intéresser à loisir aux muscles de la langue, du pharynx et du larynx, à la mise en place de l’oreille, ou des artères céphaliques, ou encore au développement des glandes lacrymales et salivaires.
Mais même si l’on se limite au système visuel, la somme de nouvelles connaissances que va permettre de produire cet outil est époustouflante. On peut notamment citer la description que les chercheurs ont fait des vaisseaux hyaloïdiens. Ceux-ci, issus de l’artère hyaloïdienne, pénètrent à l’intérieur de l’œil et occupent une large part du vitré, alors que la rétine n’est pas encore vascularisée. En situation non pathologique, ils ne sont que transitoires et régressent avant la naissance pour être progressivement remplacés par les vaisseaux sanguins rétiniens. Si ce processus de régression des vaisseaux hyaloïdiens fait défaut, cela provoque des rétinopathies rares mais graves, qui peuvent mener à la cécité. Là encore, les connaissances préalables, issues de coupe à plat, rendaient difficile la compréhension de la mise en place de cette structure extrêmement complexe.
Immunocoloration de quatre yeux aux stades de 5,4 à 10,4 semaines, montrant la choroïde (marron, alimentée par les artères ciliaires) et les vaisseaux hyaloïdes (bleu, alimentés par l'artère hyaloïde).
L'objectif : une cartographie à l'échelle cellulaire
Grâce à la navigation virtuelle dans leur atlas embryonnaire, les chercheurs ont déterminé avec précision la séquence d’apparition et de croissance des six muscles oculomoteurs principaux durant le développement embryonnaire. Ils ont également pu mettre en évidence la dynamique de mise en place de l’innervation de ces muscles par les nerfs moteurs 3, 4 et 6. Mais ces premières descriptions, bien que nécessaires, restent incomplètes. L’ambition d’Alain Chédotal, et de tout le consortium de chercheurs impliqués dans le projet Human Cell Atlas (HCA) et dans son sous-groupe du Human Developmental Cell Atlas, est de parvenir à mettre au point des techniques qui permettent de faire une cartographie complète du corps humain à l’échelle cellulaire. Pourquoi ? Parce qu’« on sait qu’il y a environ 37 trillions de cellules dans le corps humain. Mais on ne sait pas réellement en combien de types cellulaires, avec leurs caractéristiques moléculaires, elles se répartissent. On ne sait pas non plus comment elles sont distribuées dans les différents organes » précise Alain Chédotal. L’objectif du HCA est donc d’établir un atlas détaillé de toutes les cellules du corps humain, au long de son développement, afin de mieux comprendre le fonctionnement d’un corps en bonne santé et ce qui déraille en cas de maladie. Or, reprend le chercheur, « ce qu'il faut avoir en tête, c’est qu’il y a des cellules qui disparaissent au cours du développement. C’est notamment le cas d’une large part des cellules souches qui vont produire nos différents organes. La moitié des neurones dans le cerveau et dans la rétine vont également mourir de manière parfaitement normale pendant le développement. Il est donc essentiel de cartographier l’embryon à différents stades du développement, sinon il peut être difficile de déterminer à quelle étape a eu lieu le problème causant telle ou telle maladie chez l’adulte, car potentiellement les cellules en cause ont disparu ».
Propos recueillis par Aline Aurias.
SUITE LA SEMAINE PROCHAINE ! Le lundi 13 janvier 2025
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Œil Droit (OD) / Œil Gauche (OG) Le signe « + » indique que vous êtes hypermétrope. Un signe « - » indiquerait que vous êtes myope. Les chiffres expriment le degré de myopie ou d’hypermétropie : plus le chiffre est élevé, plus la correction optique est forte.