Maladies visuelles, les espoirs d'une cartographie détaillée de la rétine
Suite de notre article dédié à une première mondiale à l'Institut de la Vision : la capacité à réaliser une cartographie 3D de la tête embryonnaire. L’équipe d’Alain Chédotal étend cette évolution majeure de la recherche, à l'analyse détaillée des cellules de la rétine. Un travail fondamental dont les implications cliniques pourraient révolutionner la prise en charge des maladies visuelles.
Relire la partie 1 : "Première mondiale, une cartographie 3D de la tête embryonnaire" >
Alain Chédotal, directeur de recherche Inserm, en charge de l’équipe "Développement, évolution et fonction des systèmes commissuraux" à l’Institut de la Vision ; Professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et aux Hospices civils de Lyon. ©DR
Bientôt une cartographie détaillée de la rétine
Alain Chédotal et son équipe appliquent plus particulièrement cette approche à la rétine, et ses sept types cellulaires principaux. « On peut dissocier des tissus, isoler toutes leurs cellules et analyser ce qu'on appelle leur transcriptome, la palette des ARN messagers qu’elles expriment. Cela permet de mettre en évidence qu’au sein d’une même classe de cellules il y a différents sous-types cellulaires qui expriment des combinaisons tellement variées de ces ARN messagers que cela en fait des cellules différentes, avec des fonctions distinctes. Donc la rétine humaine contient peut-être plutôt de l’ordre de 150 types cellulaires différents ! C’est beaucoup plus complexe que ce que nous a laissé penser l’anatomie classique » s’enthousiasme le chercheur.
Avec ses collègues, ils se sont donc attelés à les cartographier, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Leur objectif est de parvenir à dire combien il y a de types cellulaires différents dans la rétine humaine embryonnaire, à quels stades ils apparaissent, où est-ce qu’ils se positionnent, sous l’influence de quelles molécules. Un travail de fourmis, soutenu par l’idée que, s’il est possible de relier certains profils d’expression, certains types cellulaires, avec des fonctions particulières, alors cela peut permettre d’avancer sur le chemin d’une question à laquelle nous n’avons toujours pas la réponse : comment est-ce que notre cerveau arrive à rendre une image intelligible à partir de ce que reçoit notre rétine ?
« La rétine humaine contient peut-être de l’ordre de 150 types cellulaires différents. C’est beaucoup plus complexe que ce que nous a laissé penser l’anatomie classique ! »
Vers les applications cliniques
Au-delà de l’aspect fondamental de cette question, les enjeux en termes thérapeutiques peuvent également être majeurs. En effet, si on envisage d’aller vers une réparation des neurones abîmés par certaines pathologies visuelles, il est essentiel de comprendre quels sont les mécanismes qui permettent à leurs axones de pousser correctement, de se projeter depuis la rétine dans la bonne aire cérébrale, dans le bon hémisphère… « Là où c’est très compliqué, c’est que ce qui arrive sur votre rétine, ce qu’elle voit, va être décomposé en tout un tas de circuits différents et parallèles, et c’est cette décomposition qui permet au cerveau de reconstruire une image qui fait sens. Si on connait bien le développement, si on identifie les molécules qui sont exprimées dans le cerveau embryonnaire, les différents types de cellules embryonnaires, les récepteurs qu'elles ont à leur surface, ça peut nous permettre de comprendre comment faire repousser des connexions fonctionnelles chez l’adulte », explique celui qui travaille depuis des années sur les neurones rétiniens. Et la tâche est loin d’être aisée. En effet, chez l’humain, la moitié latérale de chacune de nos rétines projette les axones de ses neurones ganglionnaires dans les aires visuelles situées du même côté que l’oeil, tandis que les moitiés médianes projettent dans l’hémisphère opposé. C’est grâce à la comparaison que fait notre cerveau entre ces informations, et au petit angle d’écart lié à la courbure de nos yeux, que nous, humain, parvenons à voir en 3D. Or, « lorsqu’on travaille sur le modèle souris, celle-ci n’a que 1 à 2% de ses neurones qui projettent du même côté, contre 40-45% chez l’humain. Donc, si on veut comprendre ce qui se passe, la façon dont notre cerveau reconstruit les images qu’il voit, et comment régénérer les axones endommagés, il faut cartographier chez l’homme et au stade embryonnaire » martèle Alain Chédotal. Répondre à cette question est d’ailleurs l’objectif d’un projet de son équipe, soutenu par une chaire d’excellence de l’ANR.
« Si on veut comprendre [...] comment régénérer les axones endommagés, il faut cartographier chez l’homme et au stade embryonnaire. »
Ces enjeux de cartographie s’appliquent évidemment aussi aux stratégies de thérapie cellulaire, qui sont mobilisées quand la dégénération des neurones est allée jusqu’à la mort cellulaire. Dans ces cas de figure, comme par exemple dans le glaucome, il sera nécessaire de transplanter des cellules dans la rétine pour qu’elles reconstruisent un nerf optique fonctionnel. Ceux qui s’intéressent à ce type d’approche régénérative s’appuient en général sur des cellules produites au sein d’organoïdes, ces amas cellulaires auto-organisés en mini-rétines en développement que nous avons déjà plusieurs fois décrits dans ces pages (Voir l'article Phénotypage, génotypage, intelligence artificielle, jumeaux numériques... une nouvelle ère pour la médecine personnalisée >). Pour Alain Chédotal, il est donc crucial de produire cet atlas de référence du développement embryonnaire de la rétine, afin de pouvoir calibrer la production cellulaire des organoïdes qui serviront de support à la thérapie cellulaire et ainsi s’assurer qu’ils sont identiques aux neurones rétiniens.
Propos recueillis par Aline Aurias.
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