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#Santé

Dr Masayo Takahashi, pionnière de la thérapie cellulaire régénérative

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OPTICIENS ORTHOPTISTES OPHTALMOLOGISTES
01/02/2023

Une enfance ordinaire, dans la grande métropole d’Osaka au Japon, une scolarité correcte, des parents modestes, personne n’aurait pu prévoir qu’un demi-siècle plus tard Masayo Takahashi serait une des leaders mondiaux de la médecine régénérative appliquée à l’œil. A part peut-être ses enseignants de primaire, qui à leur question « A qui voulez-vous ressembler quand vous serez plus grands ? », avaient eu la surprise de l’entendre répondre «A Marie Curie !». Car comme son modèle, plus que l’ambition, c’est la ténacité et le sérieux de Masayo Takahashi qui l’ont menée là où elle est actuellement.

 

Dr Masayo Takahashi

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Ophtalmologiste clinicienne, présidente de Vision Care Inc.,
directrice du premier essai clinique de traitement de la DMLA utilisant les cellules souches pluripotentes induites


Un focus : les pathologies de la rétine

Diplômée de la faculté de médecine de l’université de Kyoto en 1986, Masayo Takahashi choisit l’ophtalmologie, une spécialité qui lui semble compatible avec ses envies de vie de famille. Elle se forme à la chirurgie de l’œil, en parallèle de sa thèse sur les pathologies du système visuel, et prend en 1992 ses fonctions à l'université de Kyoto comme assistante clinicienne ophtalmologiste. En 1995, elle a l’opportunité, avec son mari Jun, de rejoindre pour un post-doctorat de deux ans le laboratoire de génétique du Salk Institute, à San Diego. Sous la direction de Rusty Gage, alors pionnier de la neurogénèse chez l’adulte, la jeune post-doctorante est l’une des premières ophtalmologistes à avoir accès à des cellules souches neurales adultes, qui viennent seulement d’être découvertes. Déjà très au fait des pathologies oculaires, elle entrevoit très vite le potentiel que représentent ces cellules pour leur traitement. Rentrée à l’université de Kyoto, sur un poste de professeur assistante d’ophtalmologie, Masayo Takahashi reprend sa pratique clinique, et axe sa recherche sur les cellules qu’elle a ramenées de San Diego. Mais les premiers résultats sont décevants. Si les cellules souches neurales adultes ont la capacité de se différencier en de très nombreux types cellulaires, elles perdent très rapidement leur potentiel en culture, et prolifèrent peu. La chercheuse s’intéresse alors aux cellules souches embryonnaires. Au début des années 2000, elle initie une collaboration avec Yoshiki Sasai, un ancien camarade devenu chercheur dans l’un des meilleurs instituts de recherche du Japon, le Rikagaku Kenkyusho, communément appelé RIKEN. En 2004, ils parviennent à obtenir des cellules de l’épithélium pigmentaire dérivées de cellules souches embryonnaires de primate. L’année suivante, ils seront les premiers au monde à différencier des cellules embryonnaires humaines en neurones de la rétine.

Sur la piste des cellules pluripotentes induites

En juin 2006, une découverte vient secouer le monde de la recherche sur les cellules souches : Shinya Yamanaka annonce que l’activation d’un simple cocktail de 4 gènes permet d’induire la pluripotence chez des cellules de souris adultes, déjà différenciées ! (voir encadré "La révolution des cellules souches pluripotentes induites") L’année suivante, il réitère en publiant ses résultats chez l’homme. Pour Masayo Takahashi, inquiète des considérations éthiques et médicales entourant l’utilisation des cellules souches embryonnaires (comme la nécessité, pour éviter les rejets de greffe, d’imposer un traitement immunosuppresseur à des patients souvent âgés), ces cellules souches induites à la pluripotence (iPSc) sont une nouvelle piste inespérée.


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Cellules souches iPS de donneurs en culture © Kobe Eye Medical Center


Entre-temps, son contrat avec l’université de Kyoto étant arrivé à son terme, elle a rejoint le RIKEN en 2007, prenant la tête de l'équipe de médecine régénérative de la rétine. Enthousiasmée par les travaux de Yamanaka, elle lui confie son espoir d’amener la découverte en clinique sous 5 ans. En juillet 2013, soit 7 ans plus tard, Masayo Takahashi obtient l’autorisation du Ministère de la Santé japonais pour mener le premier essai clinique chirurgical mondial utilisant des cellules iPSCs. Il s’agit de greffer, en remplacement d’une section de la rétine chez des patients atteint de DMLA, un feuillet d’épithélium pigmentaire rétinien sain. Ce fragment d’épithélium ayant été obtenu par induction à la pluripotence et redifférenciation dirigée de cellules de la propre peau des patients, le risque de rejet est nul, rendant un traitement immunosuppresseur inutile. En septembre 2014, a lieu une première greffe. La chirurgie est un succès et prouve non seulement sa sécurité, mais aussi son efficacité quand la vue de la patiente de 70 ans se stabilise.


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Chirurgie du premier essai clinique en 2014 © Kobe Eye Medical Center General Hospital


Reculer pour mieux traiter

Suite à la découverte de Yamanaka, le Japon a vu une montée en puissance des recherches sur la médecine régénérative. Inquiet du bon encadrement du développement de cet axe stratégique, le Ministère de la Santé publie en novembre 2014 un nouveau règlement: celui-ci impose qu’une institution médicale supervise tout essai clinique impliquant des cellules souches humaines. Le RIKEN seul ne peut donc pas superviser l’étude clinique en cours, et celui-ci doit être stoppé le temps de trouver un partenaire médical.
 

"Le traitement autologue était le meilleur d'un point de vue scientifique mais il était trop long,
et trop couteux pour imaginer pouvoir le généraliser à grande échelle"

 

Loin de se laisser décourager, la chercheuse met à profit les deux ans qu’il faudra pour monter un partenariat avec l’université d’Osaka et le Centre Médical Général de Kobe pour lancer un nouvel essai clinique de recherche. En effet, si la première greffe a été couronnée de succès, le processus pour obtenir le feuillet de cellules épithéliales à partir de la peau de la patiente a pris près de 10 mois. « Le traitement autologue était le meilleur d’un point de vue scientifique mais il était trop long, et trop couteux pour imaginer pouvoir le généraliser à grande échelle »,analyse la clinicienne.

Masayo Takahashi se tourne alors vers l’utilisation de lignées cellulaires stabilisées issues de cellules iPS de donneurs, ce qui permet une réduction des coûts et du temps d’obtention des cellules. De plus, du fait de la grande cohérence génétique de la population japonaise, la chercheuse montre qu’une compatibilité entre les antigènes HLA des cellules du donneurs et du receveur est suffisante pour s’affranchir d’un traitement immunosuppresseur systémique en amont de la greffe. L’autorisation de ce nouvel essai est obtenue en février 2017, et la première chirurgie a lieu à peine un mois plus tard. En tout, cinq transplantations de cellules iPSs « allogéniques » ont ainsi lieu entre mars et novembre 2017. Les données de sécurité et d’efficacité, publiées en 2019, sont bonnes. Si l’acuité visuelle des patients greffés ne s’est pas améliorée, ce qui n’était pas attendu, la suspension de cellules d’épithélium rétinien pigmentaire greffée dans leur rétine y a bien survécu et semble stabiliser la maladie. Cependant son équipe apprend lors de cette étude clinique qu'il est difficile de contrôler la suspension cellulaire dans l'œil d’un patient, contrairement au modèle animal.

Accompagner les patients, le temps que les traitements soient prêts

Au Japon, la découverte des cellules iPS par Yamanaka et leur utilisation dans l’essai clinique de Takahashi ont fait grand bruit, soulevant une vague d’espoir immense chez les patients atteints de maladies de la rétine. Dans sa pratique clinique, l’ophtalmologiste est souvent confrontée à l’incompréhension des patients quant à la durée que va prendre la mise en place de la thérapie cellulaire. « Mes patients pensent que la chirurgie est leur seule chance de retrouver une qualité de vie. Quand je leur annonce que le traitement n'est pas prêt, beaucoup pleurent. C'est très dur » soulignait-elle dans le magazine La Recherche en 2017.


"Pour créer le Kobe Eye Center, je me suis notamment inspirée de l'Institut de la Vision"
 

C’est pour cela que, cette même année, Masayo Takahashi lance, avec l’appui du gouvernement local, le Centre de l’œil de Kobé, un établissement multidisciplinaire, qui comporte un volet de recherche, un hôpital spécialisé en ophtalmologie et un centre de rééducation visuelle et d'expérimentation sociale. « Je me suis notamment inspirée de l’Institut de la Vision. Le concept de notre centre est similaire, même si sa taille est plus modeste », précise-t-elle. L’enjeu pour elle est d’accompagner au mieux les patients, en leur présentant notamment les solutions autres que thérapeutiques qui peuvent améliorer leur qualité de vie. Alors que le centre fêtera ses cinq ans en décembre, Masayo Takahasi est très satisfaite de ses résultats. « Avant sa création seuls 10% de mes patients avait recours à ce type d’aide. Maintenant, avec les services à l’endroit même où ils viennent me consulter, nous sommes presque à 100% des patients accompagnés », s’éclaire-t-elle.


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Kobe Eye Center © DR


Une société de biotechnologie, pour accélérer les choses

Mais pour la clinicienne, il faut aller encore plus vite. « Pour pouvoir réellement traiter les patients, de façon durable, il faut penser la chirurgie régénérative de façon plus efficace, rendre le traitement standardisable. Or, les compagnies pharmaceutiques ne comprennent pas bien la thérapie cellulaire, car ce que nous faisons est très différent des traitements médicamenteux ». Puisque personne ne semblait en mesure de se saisir de ses travaux pour les amener rapidement aux patients, il ne restait donc plus à l’ophtalmologiste qu’à créer sa propre société de biotechnologie. Elle hésite pourtant, se demandant si elle doit changer de conception de son travail pour être pertinente comme présidente d’une start-up de biotechnologies. « J’ai beaucoup lu sur la création de compagnie et tous ces livres disent que le point le plus fondamental quand on crée une entreprise c’est d’avoir une mission, une vision clairement identifiée. Et cela, je l’ai construit depuis plus de 20 ans. Mon objectif n’a jamais varié : soulager les pathologies visuelles, par tous les moyens ». Dont acte. Vision Care, lancée en 2017, est hébergée au Kobe Eye Center. A l’été 2019, le Dr Takahashi décide de quitter son institut de recherche pour se concentrer sur la présidence de la société. « Le RIKEN était un environnement idéal pour faire de la recherche fondamentale. Et c’est grâce à ce contexte que nous avons pu obtenir si rapidement l’autorisation d’essai clinique. Mais je suis ophtalmologiste. Ma priorité ce sont mes patients » explique-t-elle.

"Pour pouvoir réellement traiter les patients, de façon durable, il faut penser la
chirurgie régénérative de façon plus efficace, rendre le traitement standardisable."

 

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Bandelette d'épithélium © Kobe City Eye Hospital


L’objectif de Vision Care est simple, et ambitieux : proposer des traitements pour différents stades des pathologies de l’œil, depuis la thérapie génique pour prendre en charge les stades précoces jusqu’à la thérapie cellulaire pour des stades plus intermédiaires. « Et pour les stades les plus avancés, il restera les solutions de l’optogénétique et des implants rétiniens », précise la clinicienne. Pour le moment, Vision Care se concentre sur les deux premières solutions, via deux filiales dédiées : VC Gene Therapy et VC Cell Therapy. La première développe une thérapie génique pour la rétinite pigmentaire autosomale dominante, utilisant un vecteur viral adéno-associé. Confiante, Masayo Takahashi pense pouvoir lancer un essai clinique dans les deux ans, et pouvoir proposer le traitement aux patients d’ici 2030. Côté thérapie cellulaire aussi, les choses vont très vite puisque son équipe a développé un nouveau patch d’épithélium rétinien pigmentaire. En forme de bandelette, il est plus facile à insérer à la localisation voulue et, comme il nécessite une incision plus petite, rend la chirurgie plus sûre. Après transplantation, cette bande d'EPR va se dilater et former un petit feuillet sous la rétine. Les traitements par dérivés de cellules iPS autologues devraient débuter l’année prochaine dans un petit nombre d’hôpitaux, Vision Care fournissant les greffons.

Une récompense pour sa coopération franco-japonaise
Le 18 juin 2021, Masayo Takahashi a reçu l'ordre national du Mérite remis par Philippe Setton, ambassadeur de France au Japon. La clinicienne ophtalmologiste et chercheuse dans le domaine des maladies de la rétine ne s’attendait pas à cette distinction. « J’ai simplement reçu un email de l’ambassadeur m’informant que j’avais reçu cette récompense. Qui est très jolie d’ailleurs ! », se souvient en souriant Masayo Takahashi. Proposée par le Pr Sahel, de l’Institut de la Vision, avec lequel elle organise depuis 2014 des symposiums franco-japonais soutenus par l’ambassade de France au Japon, elle était récompensée pour son implication dans la coopération scientifique entre nos deux pays, dans le domaine de la médecine régénérative.

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L'équipe de Vision Care © DR

Propos recueillis par Aline Aurias

 

Photo en vignette : Kobe Eye Center © DR 

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