Les déficiences visuelles chez l'enfant
Chez l’enfant, la déficience visuelle pose des problèmes différents de celle de l’adulte. Selon sa gravité, elle peut affecter à des degrés divers le développement psychomoteur et les possibilités d’apprentissages. Le jeune enfant atteint de déficience visuelle sévère d’apparition précoce peut présenter un retard de développement cognitif, social, émotionnel, moteur ou de langage qui aura des conséquences tout au long de sa vie.
Dr Xavier Zanlonghi, ophtalmologiste, CHU de Rennes. Consultation maladies rares ; aptitude à la conduite, exploration fonctionnelle et imagerie de la vision. Evaluation et rééducation basse vision.
Les causes des déficits visuels chez l'enfant
Dans toutes les régions du monde, les affections congénitales telles que la cataracte, les maladies rétiniennes et les anomalies congénitales affectant le globe dans son ensemble, sont d’importantes causes de cécité chez les enfants, tout comme les traumatismes oculaires liés aux accidents domestiques. Toutefois, les principales causes de cécité varient d’un pays à l’autre, elles dépendent notamment du développement socio-économique, de l’organisation des services de santé et des soins oculaires de base. Dans les pays à hauts revenus, les cécités sont essentiellement dues à des causes héréditaires ou périnatales avec comme première étiologie les pathologies rétiniennes, tandis que dans les pays à faibles revenus, les opacités cornéennes prédominent. Dans les pays à faibles revenus, avec un taux de mortalité élevé avant l’âge de 5 ans, la prévalence de la déficience visuelle peut atteindre 1,5 pour 1000 enfants. Dans les pays à hauts revenus avec un taux de mortalité infantile bas, la prévalence est d’environ 0,3 pour 1000 enfants.
"En France, on évalue la prévalence de la malvoyance de l’enfant de 0,59 à 0,8/1000, et celle de la cécité de 0,28/1000 pour les enfants de moins de 1 an. Ces chiffres sont toutefois des estimations, et probablement sous-évalués."
Si on se penche sur les pays européens, il n’existe pas de recueils de données épidémiologiques validés concernant les déficits visuels de l’enfant. Selon le rapport 2017 de la SFO (Société Française d’Ophtalmologie), on évalue toutefois la prévalence de la malvoyance de l’enfant en France de 0,59 à 0,8/1000, et celle de la cécité de 0,28/1000 pour les enfants de moins de 1 an. Ces chiffres sont toutefois des estimations, et probablement sous-évalués. Bien que peu de chiffres soient disponibles, une étude épidémiologique de l’ORDVi (association des Ophtalmologistes Référents Déficiences Visuelles) a été réalisée en 2013 sur des enfants porteurs d’une malvoyance bilatérale et pris en charge en établissements spécialisés (SESSAD ou institution pour enfants déficients visuels). Selon l’étude, les causes génétiques et périnatales sont prédominantes par rapport aux causes infectieuses et accidentelles :
- La première cause de malvoyance de l’enfant est représentée par les différentes formes de dystrophies rétiniennes ou maculaires et de dégénérescence vitréo-rétinienne, avec un pourcentage de 25%. Citons par exemple l’amaurose congénitale de Leber ou la maladie de Stargardt, la plus fréquente et plus sévère des dystrophies maculaires de l’enfant. Certaines rétinopathies pigmentaires débutent dans l’enfance et présentent une évolution plus ou moins rapide vers une profonde déficience visuelle, comme dans le cas du syndrome de Usher, aussi associé à une perte d’audition.
- La seconde cause de malvoyance est l’albinisme, avec un pourcentage de 12%.
- Les anomalies et malformations développementales du segment postérieur et du globe oculaire constituent la troisième cause (10%). Elles comprennent les microphtalmies, colobomes et pathologies vitréorétiniennes.
- Les cataractes congénitales représentent 9% des cas de déficience visuelle.
- Viennent ensuite les déficiences visuelles d’origine cérébrale (8%) qui ont des étiologies multiples. Il peut s’agir d’accidents néonataux, d’encéphalopathies génétiques métaboliques ou dégénératives, de complications infectieuses, de séquelles de traumatismes et de lésions tumorales. Si les pathologies ne sont pas ophtalmologiques au sens strict, elles peuvent être responsables d’un polyhandicap associant des altérations des capacités visuelles, des déficits moteurs à des troubles du développement intellectuel.
- Les anomalies du segment antérieur représentent 8% des cas. Il s’agit principalement d’opacités cornéennes primitives ou secondaires à des dysgénésies.
- Les glaucomes congénitaux représentent environ 5% des enfants déficients visuels.
- Enfin, 2 % des enfants sont malvoyants du fait de tumeurs oculaires, au premier rang desquels le rétinoblastome.
Un dépistage visuel dès le plus jeune âge
Bien qu’elles soient rares, les pathologies oculaires développées au cours de la vie in utero génèrent encore souvent un handicap visuel majeur. Le dépistage anténatal constitue donc un défi diagnostique, pour aboutir à une prise en charge la plus précoce possible. Les techniques d’imagerie que sont l’échographie et l’imagerie par résonance magnétique, au cours de la grossesse, permettent de détecter des anomalies oculaires comme les cataractes congénitales et les colobomes, ou des malformations tels que les microphtalmies et anophtalmies. L’examen sera d’autant plus précis qu’il existe des antécédents familiaux de malformation. A la naissance, la vision du bébé n’a pas atteint sa maturité neurovisuelle. L’acuité visuelle, très faible les premiers mois, n’atteindra les 10/10 que vers l’âge de 5 ans. Durant cette période sensible du développement de la vision, toute anomalie précoce perturbera la maturation du système visuel, entraînant un risque d’amblyopie définitive avec des conséquences tout au long de la vie. Dès la naissance, les enfants bénéficient de 20 examens médicaux obligatoires jusqu’à l’âge de 18 ans (depuis 2019). Ces examens sont pratiqués par le médecin choisi, pédiatre, généraliste, en privé ou en consultation de PMI. Le carnet de santé (dans sa nouvelle version de 2018) a permis une prise de conscience de la nécessité d’évaluer la fonction visuelle en proposant des examens orientés et guidés vers la recherche de troubles visuels. L’examen visuel en période périnatale comporte une inspection visuelle en 4 points (globes oculaires, cornées, pupilles, lueurs pupillaires) laquelle sera répétée jusqu’à l’âge de 2 ans et demi. À partir du 2e mois, on inclut en plus la recherche d’un strabisme.
En France, le dépistage de la rétinopathie du prématuré est recommandé chez tous les prématurés nés avant 31 SA, avec un poids de naissance inférieur ou égal à 1 250 g, ou entre 1 251 et 2 000 g en cas d’évolution post-natale compliquée. L’objectif étant de détecter précocement la maladie et de réaliser un traitement adapté pour réduire le risque de complications graves potentiellement cécitantes.Chez l’enfant, deux catégories d’affections oculaires sont à dépister. D’un côté, les affections rares mais sérieuses pouvant mener à une malvoyance profonde ou une cécité, sont importantes à reconnaître. Présentes le plus souvent dès la naissance, elles sont repérables dans la majorité des cas par une inspection des yeux ou une anomalie du comportement visuel.
"Plus le dépistage et le diagnostic de la déficience visuelle est précoce, meilleure est la prise en charge des professionnels de santé pour proposer une éducation adaptée au handicap visuel du jeune enfant."
Certaines sont traitables par chirurgie, comme la cataracte congénitale, le glaucome congénital, ou le rétinoblastome par radiothérapie-chimiothérapie. La seconde catégorie concerne des désordres moins graves, qui s’expriment plus tardivement (après 18 mois) et qui ont des répercussions sur la fonction visuelle s’ils ne sont pas reconnus et traités à temps, comme les anomalies réfractives, le strabisme et l’amblyopie.
Certains enfants présentent des risques élevés de développer une pathologie de la vision dans leur enfance : les nouveau-nés de faible âge gestationnel ou de faible poids de naissance, les enfants ayant présenté une anoxie périnatale ou une infection anté- ou néonatale (toxoplasmose, infections virales, notamment à cytomégalovirus), les enfants avec antécédents familiaux ou porteurs d’anomalies chromosomiques (telle la trisomie 21, par exemple). Devant ces facteurs de risque, il est important d’évaluer la fonction visuelle de manière systématique, dès les premiers mois de la vie et régulièrement ensuite, afin de détecter le plus précocement possible des anomalies de la fonction visuelle. D’une manière générale, plus le dépistage et le diagnostic de la déficience visuelle et de la cécité sont précoces, meilleure est la prise en charge des professionnels de santé pour proposer une éducation adaptée au handicap visuel du jeune enfant. Chez l’enfant plus grand, le dépistage de troubles visuels, en particulier des troubles de la réfraction, reste de première importance du fait de la prévalence élevée de ces troubles, responsables de difficultés scolaires et de gêne dans la vie courante.
Les progrès dans le traitement de la pathologie
Outre la prévention et le dépistage, une prise en charge de la pathologie à la pointe du progrès est importante pour lutter contre la déficience visuelle. Au cours des dernières décennies, les progrès chirurgicaux et les avancées technologiques ont permis de traiter plus efficacement des pathologies cécitantes, classées désormais parmi les pathologies cécitantes évitables. Dans le cas du glaucome congénital, la chirurgie filtrante permet d’enrayer les complications dues à la distension du globe oculaire. Elle permet aujourd’hui d’obtenir de très bons résultats si elle est effectuée précocement. De même, l’amélioration des techniques chirurgicales a permis un meilleur pronostic dans le traitement de la cataracte congénitale. En ce qui concerne le rétinoblastome, les progrès thérapeutiques ont essentiellement permis de diminuer la toxicité des traitements conservateurs et d’augmenter le taux de conservation oculaire. Grâce à ces avancées, il est désormais possible dans une majorité de pathologies cécitantes d’obtenir une acuité visuelle finale d’au moins 5/10, évitant ainsi la cécité. Ce niveau d’acuité préserve une qualité de vie à ces enfants si elle s’accompagne d’un champ visuel suffisant.
Par ailleurs, l’autonomie des enfants aveugles et malvoyants a également été améliorée par les progrès technologiques pour l’accompagnement du handicap. Cela va du matériel simple, comme les jeux éducatifs ou appareils vocaux, aux équipements plus techniques comme les loupes électroniques, les logiciels informatiques, les tablettes, ou encore le GPS vocal.
La prise en charge du handicap
Chez le très jeune enfant atteint de déficience visuelle sévère, il peut apparaître des troubles du développement et de la communication non verbale ainsi que des difficultés pour appréhender l’espace. Les services d’accompagnement de l’enfant (0 à 3 ans) et de sa famille (SAFEP) interviennent dans le développement global de l’enfant, en stimulant ses capacités visuelles, sensorielles et psychomotrices. Ces services peuvent intervenir également dans les crèches et au domicile (éducatrice spécialisée, psychomotricienne, orthoptiste).
A l’âge scolaire, la mise en place d’aides spécifiques est parfois suffisante pour permettre une scolarisation normale. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renforce les actions en faveur de la scolarisation des élèves handicapés. Elle affirme le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Dès le stade de la préparation de l’arrivée de l’élève, des contacts sont établis entre les Services d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à la scolarisation (SAAAS) et les établissements scolaires. Ces services, pour les enfants de 3 à 20 ans, assurent la mise en place de l’ensemble des moyens de compensation du handicap visuel : développement des moyens sensoriels et psychomoteurs, stimulation de la vision fonctionnelle, apprentissage des techniques palliatives (braille, locomotion, informatique adaptée, techniques d’activités de la vie journalière), utilisation des aides optiques et non optiques, et possibilité de mise à disposition de certains matériels spécialisés.
Chez certains enfants, le handicap visuel est incompatible avec un apprentissage correct de la lecture et de l’écriture malgré les techniques de compensation. Dans ce cas, il convient d’orienter ces enfants malvoyants vers des établissements spécialisés. Les établissements médico-sociaux pour déficients visuels proposent une approche globale, éducative, pédagogique, rééducative, sociale, médicale et psychologique. L’équipe soignante comprend des infirmières, des ophtalmologistes, des psychologues, des psychiatres, des rééducateurs en orthoptie, en orthophonie, en psychomotricité. La scolarisation peut être assurée à l’intérieur de l’établissement, comme c’est le cas à l’Institut national des jeunes aveugles (INJA) à Paris. Pour les plus de 20 ans, la prise en charge rejoint celle des adultes. Parfois, la déficience visuelle ou la cécité sont associées à un handicap mental, moteur ou auditif. Un tel contexte de polyhandicap nécessite une prise en charge par des équipes multidisciplinaires. Les établissements médico-sociaux pour déficients visuels et handicaps associés (IME, SEHA) proposent des services pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées : un apprentissage professionnel adapté, une scolarisation, une éducation spécialisée qui répond aux besoins des adolescents et jeunes adultes présentant plusieurs types de handicaps associés, des soins et parfois un hébergement de semaine. L’Institut d’éducation sensorielle (IDES) à Paris, par exemple, accueille et scolarise de jeunes déficients visuels de 3 à 20 ans avec ou sans troubles et handicaps associés.
"Pour faciliter l’accès au monde du travail, des structures privées ou associatives existent, elles soutiennent les jeunes déficients visuels dans l’identification d’un projet professionnel réaliste."
L'orientation professionnelle de l'adolescent
Chez le jeune porteur de handicap, il peut être difficile d’élaborer un projet professionnel en adéquation avec ses capacités physiques. Pour faciliter l’accès au monde du travail, des structures privées ou associatives existent, qui soutiennent les jeunes déficients visuels dans l’identification d’un projet professionnel réaliste. Ces services prennent en compte les compétences, la motivation, les intérêts professionnels et les capacités visuelles afin d’établir la compatibilité métier/handicap. Les opportunités d’emploi et les techniques de compensation du handicap sont étudiées. Citons par exemple la cellule d’insertion professionnelle du service accompagnement à la vie sociale déficience visuelle de Paris au sein de l’Association Valentin-Haüy (AVH).
Les SIADV (service interrégional d’appui aux adultes déficients visuels) sont également une source d’aide pour accompagner l’insertion professionnelle. Par ailleurs, un certain nombre de consultations hospitalières de pathologie professionnelle existent. Elles peuvent assister les patients dans leurs différentes démarches vis-à-vis de leur orientation professionnelle et dans la détermination de leur aptitude à exercer un emploi.
Les centres de rééducation professionnelle (CRP) et Les Etablissements et Services de Réadaptation Professionnelle (ESRP), dont certains sont spécifiques à la basse vision, reçoivent les jeunes adultes âgés de plus de 18 ans et bénéficiant de la reconnaissance travailleur handicapé. Le but y est d’acquérir des compétences professionnelles débouchant sur une insertion professionnelle. Des dispositifs de consolidation au handicap visuel y sont également dispensés : locomotion, activités de vie journalière, outils de communication.
Enfin, l’accès à l’université est facilité par les services universitaires de médecine préventive, qui interviennent en collaboration avec les MDPH (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées) pour élaborer le Plan accompagnement étudiant handicapé (PAEH). Depuis 2008, des BAIP, bureau d’aide à l’insertion professionnelle, se mettent en place dans les universités afin d’assister les étudiants dans leur recherche de stage et de premier emploi. Et du côté des grandes écoles, la charte « conférence grandes écoles-handicap » a institué la mise en place d’une structure d’accueil dirigée par un référent handicap dans chaque établissement.
Propos recueillis par Sophie Vo auprès du Dr Xavier Zanlonghi, ophtalmologiste CHU de Rennes (consultation maladies rares), avec tous nos remerciements.
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